lundi 24 janvier 2011

Ben Decca, le crooner forever



(Ben Decca, tout comme Dina Bell, Jacky Ndoumbè, Guy Lobè etc., fait partie de ces chanteurs de makossa qui ont su s’attirer les faveurs du public féminin par la proximité de leurs messages.)


Le makossa se distingue par une diversité de styles due à la coloration musicale spécifique de ces principaux interprètes. Chacun de ces artistes y trouve évidemment matière à satisfaction. Et dans cette profusion de voies ouvertes pour accrocher les faveurs des mélomanes, il est une voie enchanteresse par excellence : celle des crooners ; celle des chanteurs de charme, sensés toucher par la qualité de leur vocal et de leur thématique, la fibre la plus sensible des cœurs. C’est la voie empruntée par ces artistes qui développent une très grande complicité avec la gente féminine, lorsque ce public n’est pas simplement mixte. Ben Decca, le crooner de ces dames,  tout comme Dina Bell ou encore Jacky Ndoumbè, fait partie de ceux-ci. Ben Decca qui est présent au devant de la scène musicale camerounaise, comme tous les ténors du makossa, depuis plus d’une trentaine d’années.
Amour à sens unique. (Un penchant amoureux non partagé est toujours douloureux)/Où est donc l’amour que tu m’avais promis, qui ? moi !? Jamais ! / Tu m’avais pourtant affirmé que toi et moi c’est pour la vie/ Si notre amour n’était qu’une distraction passagère dis-le-moi, mon homme/


La thématique abordée par Ben Decca

La foisonnante discographie de Ben Decca, se caractérise par une attention toute particulière portée aux relations souvent tumultueuses entre les hommes et les femmes. Ce qui l’amène tout naturellement à défendre le sexe dit faible, dans une société camerounaise où les hommes se taillent largement la part du lion.
Il aborde aussi quelques thèmes portant sur la défense du patrimoine Sawa et du makossa face aux autres styles musicaux de la république.
Il se fait aussi remarquer par son énorme production de slows. Il se distingue tout autant par sa collaboration artistique avec quelques-uns de ses confrères du pays.  Nous n’oublierons pas d’aborder la polémique ou le malentendu, qui a installé pendant quelques temps, un froid entre Ben Decca et ses nombreux fans.
Alanè Mba. (Si tu ne peux plus être avec moi, cela me fera beaucoup de mal/ Ils ont prétendu que je suis un débauché de l’amour, Ils ont fait de moi un papillon de l’amour, mais il ne faut pas les croire, car je t’aime, si tu n’es pas avec moi, je suis bien malheureux/ Je vais d’un coin à l’autre pour simplement te retrouver, nuit et jour, tout simplement parce que je t’aime.) 

Ben Decca, le « défenseur des femmes »


Ben Decca apparaît dans le paysage musical camerounais au début des années 80,  dans un maxi 45 tours intitulé Maloko ma kwang. Les mélomanes découvrent un chanteur à la voix fine, très fine même, lorsqu’elle ne paraît pas plaintive, larmoyante même ; on l’a dirait même féminine.  Une technique vocale chaude, passionnée, dévoreuse de mots et aux longues envolées lyriques non habituelles sur le terrain, alors que se met en place entre guillemets, l’équipe nationale du makossa, dont la principale figure de proue est Toto Guillaume.
On s’aperçoit aussi que sur le plan de la thématique, les préoccupations abordées dans ce maxi 45, sont et préfigurent déjà, celles qui vont être développées et revisiter à loisirs par Ben Decca au cours de sa longue carrière, qui est d’ailleurs loin d’être achevée.
Maloko ma kwang  : Lorsqu’il m’arrive de me remémorer nos jeux d’antan, ma chérie en Kaba, moi-même en Sandja, ah ! ma chère famille, je souviens tellement de nos jeux d’antan !
Les relations entre hommes et femmes, ou plutôt la difficile cohabitation entre l’homme et la femme va être examinée et réexaminée tout au long de la quinzaine d’albums commis par l’auteur-interprète. Et dans ces empoignades relationnelles où les hommes tirent souvent avec plus de facilité et d’évidence leur épingle du jeu, Ben Decca choisit de prêter sa voix  aux femmes victimes de ces agissements délétères des hommes. La femme chez Ben Decca n’a donc presque jamais le beau rôle dans le couple. Elle est le plus souvent la proie de la roublardise du mâle trop occupé à assouvir ses propres besoins, qu’à satisfaire les attentes légitimes de sa partenaire.
Quoi qu’on puisse vouloir penser de ce parti pris de Ben Decca quant à la probité de la personne féminine dans la société camerounaise, il devenait donc tout à fait normal qu’il en tire des dividendes sur le terrain. C’est-à-dire que l’on reconnaisse en lui le chanteur masculin, défendant contre vents et marées, l’intégrité physique et morale de la gente féminine. En effet, contrairement à Toto Guillaume, qui l’a en quelque sorte précédé dans la problématique, mais dont la sphère de « contestation » sur la femme, se circonscrit avant tout à la bulle familiale, avec sa mère au centre de celle-ci, et à ses tribulations amoureuses, Ben Decca traite de ces problèmes de manière plus générale et externe à son vécu personnel, semble-t-il.  Et, bien plus que d’autres artistes du makossa contemporain, qui ont voulu lui emboîter le pas en s’autoproclamant « avocat défenseur » des femmes, etc., sans qu’on puisse pouvoir attacher à ces affirmations une démarche véritablement cohérente, Ben Decca reste l’un des seuls chanteurs de makossa à qui l’on puisse attribuer à juste titre ce qualificatif.
  Yetena oa (Je souffre tellement d’être chez toi, mon homme/ La misère me tue chez toi, sans que tu ne t’en émeuves, mon homme/ et pourquoi lorsqu’il nous arrive d’avoir des différents, pourquoi faut-il que tu balances mes affaires hors de notre domicile /Je suis fatiguée, si déçue, laisse-moi partir, mon homme / si j’avais su, je n’aurai pas élu domicile chez toi, car ton but était de faire de moi une poule pondeuse / Laisse-moi retourner chez mes parents, mon homme.)

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2010
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dimanche 23 janvier 2011

Dina Bell, un souffle nouveau


(Dans les années 80, Dina Bell est l’un des porte-étendards les plus accomplis de tous ces jeunes auteurs-interprètes Camerounais qui allaient se faire un nom, à partir de la place parisienne, dans le firmament encore dégagé de la scène musicale camerounaise.)


            Lorsque le public camerounais découvre le chant tonique de Dina Bell, dans le tout début des années 80, avec le titre Yoma-Yoma, il se rend compte qu’il est en présence d’une nouvelle dynamique du makossa. Il en est même confronté à un nouveau démarrage d’un makossa plus dansant, plus syncopé, plus rafraîchissant. Celui-ci, dans son développement,  contraste visiblement avec la pratique, manifestement plus modeste dans ses sonorités, ses ritournelles, des pairs fondateurs du rythme (Lobe Lobe Rameaux, Nelle Eyoum, etc), et celui des ténors de ces années-là, évoluant principalement au sein des Bands et des cabarets de la ville de Douala (Los Calvinos, les Blacks Styls, etc,).
Cette nouvelle dynamique qui naît dans de  modestes studios d’enregistrement de la cité parisienne, est  incarnée par toute une bande de jeunes artistes en herbe, au pédigrée pratiquement inexistant, sauf peut-être le fait, pour la majorité d’entre eux, d’avoir testé leurs dons vocaux, à Douala, leur ville de naissance, lors des concerts scolaires des années 70. Période au cours de laquelle, quelques établissements publics tout comme privés du pays, se faisaient encore une joie de posséder de petits orchestres destinés à égayer leurs élèves, lors des fêtes et autres manifestations scolaires.
Dina Bell est l’un des porte-étendards les plus accomplis de tous ces jeunes gens auteurs-interprètes qui, à partir des années 80, par les possibilités artistiques musicales offertes sur la place parisienne, sans être des instrumentistes remarquables, pour certains, allaient se faire un nom dans le firmament encore dégagé, de la scène musicale camerounaise. Citons en quelques-uns au tout hasard, qui ont été, tout comme lui, les principaux bénéficiaires de cette ouverture musicale à Paris, l’une des villes françaises les plus cosmopolites en matière entre autres, d’art et de mixage racial : Joe Mboulé, Moni Bilè, Ben Decca, Jacky Ndoumbé, Pierre de Moussy, Douleur, Jean Claude Mbimbé, Guy Lobé, Ndedi Dibango, Charly Nellè, Jr Nelson, Féfé Bekombo, etc.,
Yoma-yoma : Toi cette fille de mauvaise vie, cette fille sans cœur, cette fille au cœur toujours insatiable/ Ils se sont servis de ton corps et  t’ont  abandonné/ Ils  se sont abreuvés à ton corps et t’ont abandonné/ Ils t’ont menti et t’ont abandonné/ Ah ! Cette fille sans importance, cette moins que rien/ c’est elle qui a mis au monde un bébé dans un pot d’enfant, pour finalement prétendre que ce n’est qu’un souriceau/ Pour finalement prétendre que ce n’est qu’un souriceau/  

Les années fastes

            Il semble assez évident de diviser la carrière musicale de Dina Bell en de grandes périodes assez tranchées qui constituent un résumé assez pertinent de l’implication et de la contribution de l’homme au béret, à l’histoire de la musique camerounaise. On parlera donc grosso modo, des années fastes qui collent étrangement avec l’âge d’or du makossa ; on s’attardera sur les années de turbulence, de doute, qui eux, semblent concorder aussi, avec le début du déclin de ce rythme un peu partout dans le monde. On  finira avec les années de renaissance qui courent toujours. Nous espérons d’ailleurs, qu’elles se révèleront aussi fructueuses que celles de tout début de carrière, de cet autre artiste majeur de l’histoire du makossa.
D’emblée, en ce qui concerne les années fastes de Dina Bell dans la pratique du makossa, l’apport direct ou indirect qu’on pourra lui imputer, c’est d’être l’un des premiers  à être sorti de sa construction classique, pour produire, il est vrai aidé en cela par des instrumentistes à la vision exceptionnelle tel que Toto Guillaume, par exemple, un makossa que je qualifierais à rallonges ou à rebondissement. Un makossa à rebondissement parce que, plutôt que de coller à la construction classique du makossa, dont le découpage le plus simple consistait en une entame musicale cool, suivie d’une période plus chaude, plus débridé, qui vous menait à la fin du morceau, ou bien qui était suivi d’un troisième temps presque aussi calme que le tout premier, le makossa de Dina Bell allait plutôt multiplier au sein d’une même composition, ces phases cool et chaudes. Ce qui avait pour résultat de multiplier les refrains, les changements de rythme, et ainsi, d’impulser une plus grande richesse rythmique et mélodique. Des morceaux d’une longueur assez appréciable (5 à 7, voire 8 minutes), grâce à cette nouvelle construction, se permettaient ainsi d’éviter les nombreux écueils de la monotonie sonore. Ecueils dont sont toujours victimes d’ailleurs, une bonne partie des créations africaines, qu’elles soient congolaises, ivoiriennes ou camerounaises. Et pour cause, elles continuent toujours à confondre, redondances musicales et musiques bien léchées et concises !

Mbemba Iyo

Le chef-d’œuvre de cette inclination et construction musicale adoptée par Dina Bell est sans nul conteste, Mbemba Iyo. Sorti des bacs dans les années 80, c’est le titre-phare de l’album qui allait consacrer l’homme au béret, comme l’un des makossa-man les plus en verve, les plus adulés au Cameroun, au cours de ces années 80 et 90. Il suffit pour se rendre compte de sa notoriété de l’époque, d’avoir assisté  au concert organisé dans l’enceinte du  Cinéma le Concorde dans les années 80 ! La salle était pleine à craquer ! On refusait même du monde, on n’était pas loin de la starmania ! On l’était même carrément ! Hé oui ! On en était encore à l’ère où les spectacles initiés par ces artistes de la nouvelle vague du makossa, attiraient des foules considérables, preuve de l’adhésion et de l’auto-identification du public à ce rythme du terroir devenu international. 
Cette apparition du Makossa à rallonges symbolisée à juste titre chez Bazor, par le titre Mbemba Iyo, allait avoir auprès de ces coreligionnaires de l’époque, des échos tous aussi accomplis, et  toujours aussi prisés par les mélomanes. Lorsqu’on écoute des pièces musicales comme Chagrin d’amour, Osi Tapa Lambo Lam de Moni Bilè, Ndolo l’Amour de Pierre De Moussy, Dina Lam de Jean Claude Mbimbè, Amour à sens unique de Ben Decca, Ne nde tonon, bomele mba de Jr NelsonEsther de Ndedi Dibango entre autres, on sent la forte proximité technique et artistique qui a présidé à ces réalisations. On sent aussi la force d’un souffle lyrique qui a contribué à asseoir plus d’une décennie durant, le makossa au centre de la geste musicale du continent. Au détriment cette fois-ci, du grand et de l’éternel rival congolais (les deux Congo), toujours aussi doué au demeurant, mais trouvant à cette époque-là sur son chemin, du répondant. 
Plus proche de nous, cette technique de construction du makossa inspiré, et à rebondissement, est assez bien incarnée de nos jours par un artiste de la nouvelle vague, tel que Joly Priso. Assez étonnamment, il maintient manifestement les fondamentaux mélodiques et rythmiques de cette époque d’or, post Lobè-Lobè Rameaux et  Nellè Eyoum. Il se meut vêtu d’un costume de sonorités immaculées, dans une mer actuellement souillée d’impuretés aussi déshonorantes que désarmantes, pour l’histoire du makossa !
Mbemba Iyo : Sois attentif aux conseils, mon petit ! Les histoires d’aujourd’hui, faut apprendre à s’en méfier/ Sois attentif aux conseils, mon fils/ Les comportements d’aujourd’hui, faut savoir prendre du recul avant de les affronter/ A chacune de mes prières, tout ce que je demande à Dieu, même si ma condition matérielle actuelle est  loin d’être rose, c’est d’éloigner de moi les plus dégradantes maladies et de me faire passer à travers les plus déshonorantes histoires !...

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2010
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les années de turbulence (suite)

(Lorsque les artistes gardiens de l’orthodoxie d’un mouvement musical, tel que le makossa, commencent à pointer aux abonnés absents, il se pose un énorme problème !)

Hélas ! Que dire de ces années troubles, sinon qu’elles correspondent aux années de vacillement du système. Si l’on peut parler de système pour un rythme musical qui repose  plus sur le background, la probité artistique et intellectuelle d’artistes qui s’en sont fait les défenseurs, les propagateurs, que la fidélité à la lettre près, à un plan comptable qui s’imposerait à tous.
Le makossa, comme toute musique populaire, n‘existe que par les hommes qui se chargent de le propager. Lorsque ces hommes, ces musiciens, gardiens de l’orthodoxie de la maison, commencent à pointer aux abonnés absents, il se pose déjà un problème.
Lorsque les musiciens qui sont aussi chargés d’arranger ces morceaux, développent des trajectoires stylistiques et conceptuelles non pas diamétralement opposés, mais laissant entrevoir de grosses nuances dans l’exécution du makossa, prenons pour exemple Alhadji Touré et Toto Guillaume, il se pose un autre problème.
Le makossa existe aussi par les hommes qui se chargent de mettre leur fric dans la production de ces œuvres, pour les rendre accessibles enfin au public. Lorsque ces producteurs, pour une raison avérée ou non, estiment qu’il leur serait plus rentable d’y adjoindre des sonorités musicales issues par exemple du soukous congolais (alors en regain de forme à partir des années 90), modifiant ainsi, ses sonorités traditionnelles,  il se pose encore un autre problème.
Lorsque les artistes eux-mêmes, faisant preuve de peu d’intégrité intellectuelle, vu la trajectoire artistique jusque-là suivie, répondent à ces appels de sirène pour contenter un producteur, normalement plus soucieux de se remplir les poches que de se poser en protecteur d’un courant musical, référence pour tous, il se pose encore un autre problème. Mais, il se pose encore un problème plus grand, lorsque le public, pour lequel toutes ces actions sont soi-disant accomplies, en tire, plutôt qu’une satisfaction, une déception !
Pourquoi déception !? Mais tout simplement parce que ces tentatives maladroites de coller, de prendre le train en marche d’une histoire qui n’est pas la nôtre et, qui a donc commencé sans vous, sont toujours hasardeuses. Elles sont surtout mal perçues par les oreilles de mélomanes puristes. Ceux-ci ont tôt fait, dans un premier temps, de débusquer la supercherie et dans un deuxième, de rejeter sans ménagement l’œuvre qui ne correspond pas à la démarche artistique intrinsèque de l’auteur ! Seuls parviennent généralement à se contenter de ce genre de pièce musicale, des individus (nombreux dans la société), dont l’exigence première est de se dégourdir les muscles en s’empiffrant de décibels, quelles qu’en soient leur qualité et leur provenance.
Epoupa : La saison des pluies s’annonce, ceux qui ont des aimées, envoient déjà leur courrier ! Que quiconque ira  à Douala, dise à ma bien-aimée la douleur que j’éprouve quand je pense à son éloignement ! Elle m’avait envoyé une lettre où elle disait être en chemin! Mais qu’est-ce qui lui est arrivée pour qu’elle en vienne à changer d’avis ! Que quiconque ira  à Douala, dise à ma bien-aimée la douleur que j’éprouve quand je pense à elle… !

La mauvaise santé financière des chanteurs de makossa

Dina Bell, à l’instar de quelques autres noms de la musique camerounaise, a aussi connu cette période malheureuse où il a dû s’aligner au contexte général. Il y était certainement poussé par son producteur et son arrangeur de l’heure, et l’impression de pouvoir se faire un peu plus d’argent en réalisant cette soupe.
Il faut avouer que la mauvaise santé financière de ces chanteurs de makossa,  malgré tout le succès d’estime qu’ils rencontraient, au Cameroun et à l’extérieur, ouvrait la voie à toutes les formes de prostitution possible.  C’est ainsi qu’il a sorti un album somme toute pas, mauvais, mais qui ne correspondait pas à sa stylistique habituelle. Le titre Kodi é ma bwa bi nio est l’archétype de cette dérive vécue par Dina Bell. Il fait parti d’un album, qui apparaît dans les discothèques dans les années 90-91, ce dernier redisons-le, servi avec de belles mélodies, comme sait nous les concocter Dina Bell. Mais l’accueil des mélomanes avertis, ses inconditionnels,  sera froid et assez critique par rapport à cette introduction de la rythmique soukous ou dombolo dans son makossa.
Pourquoi cette intransigeance du public pour un auteur-interprète tel que Dina Bell et pas pour d’autres ? Pourquoi une telle levée de bouclier pour un artiste qui avait déjà tant donné à la musique camerounaise ? Tout simplement parce que la stature que Dina Bell s’est donné dans le makossa ne lui permettait, d’après le public, des écarts stylistiques de ce genre ! Ces mélomanes voyaient en lui et en quelques autres noms tels que Toto Guillaume, Ben Decca, Douleur, Jacky Ndoumbé, J.C. Mbimbè, etc., les détenteurs les plus significatifs des clés de la Maison makossa. Ce qu’on aurait pu pardonner à Moni Bilè et à quelques autres makossaman qui prenaient des libertés avec l’orthodoxie du rythme, ne leur était et  ne leur sera jamais permis !
Ayé ayé kodi è ma bwa bi nio : (La jalousie va vous tuer)    

Les années de renaissance

Pour Dina Bell dont la timidité, la réserve naturelle l’amène à cultiver un goût de la discrétion qui lui est même assez préjudiciable sur scène, le sursaut survient tout de suite après cet album ayant recueilli de la part du public, un accueil assez mitigé. La réconciliation, la mise au point intervient dans l’album suivant, débarrassé de ces ajouts disgracieux, qui ont failli contribuer à asseoir, un voile sur la personnalité artistique de ce grand serviteur du makossa. L’homme qui a toujours eu aussi pour habitude, d’offrir des œuvres à la thématique pondérée, équilibrée, renoue avec ses sensations et son public.
Certes, le contexte général de ces années 2000, n’est plus le même que celui des années 80 où le makossa régnait en maître sur la scène internationale. Les éternels rivaux congolais ruent dans les brancards ; en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire, longtemps restée à la traîne des grands courants musicaux africains, affûte ses armes ! Sur la place nationale elle-même, le Bikutsi boosté par un matraquage médiatique des plus politisés, apparaît avec des appétits déloyaux d’ogre ! Le golden-boy lui-même, passée l’époque d’euphorie des années d’or du makossa, semble être moins en verve, moins en vue, pour des raisons que nous n’aborderons pas ici. Mais, il continue quand même à affirmer, vaille que vaille son identité, en donnant à son public ce qu’il sait le mieux faire. Il occupe la place qui est la sienne dans ce dispositif makossa qu’il a contribué à construire, à diversifier. Il fait preuve de présence sur le terrain, en attendant le retour des jours meilleurs, pour tous les  occupants intègres de la Maison.
Nyam nu : C’est ma bien-aimée ! Ne venez plus jamais me parler des faits et gestes de ma femme ! Plus jamais ! J’ai choisi de vivre  avec elle  et non le contraire ! Ne venez plus jamais me parler de ces faits et gestes ! Ma chérie, même si l’on venait à me faire part de tes agissements, je n’y tiendrais pas compte, même si on me torturait, je me contenterais de prier qu’après tes moments d’égarement, de dépravation,  je me contenterais de prier de toujours te retrouver rien que pour moi ! Que cherche-je encore ?! J’ai déjà trouvé… ! C’est ma bien-aimée !

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2010
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mercredi 12 janvier 2011

La thématique abordée par Dina Bell (suite et fin)


(Doué d’une sensibilité à fleur de peau, Dina Bell ne pouvait s’illustrer que par une production de slow à grande échelle)

Dina Bell fait partie de la race des grands crooners du makossa. Il trône dans une place de choix avec ses amis et collègues du métier. Citons, Ngallè Jojo, Missè Ngo François, Ekambi Brillant, Ben Decca, Moni Bilé, Pierre De Moussy, Joe Mboulé, Jacky Ndoumbé, J.C. Mbimbé, Guy Lobé etc., Mais, passé le thème de l’amour, qui il est vrai, est prédominant dans sa production (celui-ci l’a permis de donner au public, la thématique de ses plus beaux slows), on s’aperçoit que Dina Bell est aussi un créateur qui maintient un lien assez fort avec le terroir.

Le rapport au terroir, le retour au pays natal

Dans quelques uns des ses albums, il développe ainsi une attitude nostalgique par rapport au pays, à Douala sa ville natale ; il nous y parle des liens qui le rattachent à sa famille, à ses amours, aux habitudes culturelles spécifiques à son environnement originel. Il exprime ces manques à travers l’évocation de l’absence de l’autre, et la poignante relation de ces saisons camerounaises (Epoupa ye ngea) devenues si lointaines et si différentes de celles qu’il vit en France. Et ce lien avec ce terroir se révèle finalement si puissant, qu’il induit pour lui, à priori, la nécessité d’un retour au pays. Dina Bell exprimera finalement, cet impératif, qui sera d’ailleurs suivi de l’acte de retour effectif au Cameroun, dans un album intitulé Mboa ni, sorti des bacs au milieu des années 80. Depuis lors, il vit certes entre les deux pays, mais la magie ou encore le leurre de l’expatriation qui pousse tant de jeunes gens loin de leur région natale, n’est plus qu’un souvenir sans véritable contenu pour lui !
Mboa ni : Je n’y suis plus, quoi qu’il arrive, je vais rentrer chez moi/ je n’ai aucune obligation d’être en France, je n’y ai pas plus de dette qui me contraindrait  à y demeurer/ j’ai simplement pris la décision de ne plus rester à l’étranger, même si je n’y aurai pas grand-chose, je resterai chez moi/ même si l’on décidait de m’y mettre aux petits soins, je ne resterais plus à l’étranger/ Il y a tant d’amour dans mon pays, tant de belles choses dans mon pays/ Demande-leur s’ils ne savent pas ce qu’il y a dans notre pays, notre Cameroun/ Il y a tant d’amour, tant de tendresse, tant de belles choses dans mon pays, dans notre Cameroun/



Bazor demeure toujours au centre de sa création

Quels que soient donc les thèmes abordés dans ses compositions, reconnaissons que Bazor, l’homme au béret et aux tenues africaines sur scène, nous entretient au premier-chef de ses préoccupations intrinsèques. Qu’il vente ou qu’il pleuve, il reste toujours campé au centre de sa création. Il n’y a jamais rien de téléphoner dans ses messages. Jamais, il ne lui vient à l’esprit de sacrifier aux exigences thématiques à la mode de l’heure, telles que les dénonciations et prises de position politiques dont sont devenus friands, certains chanteurs de makossa. Dans ses compositions, il continue à assumer son vécu personnel et celui de ses proches. Il fait écho ainsi toujours, sans rien forcer sur son talent, à la configuration traditionnelle du makossa, qui est d’être principalement, une musique festive, ludique, et même souvent mélancolique, principalement axée sur l’expression et des préoccupations individuelles que l’on qualifierait d’assez nombriliste.

Dina Bell et le slow camerounais

Tout comme Toto Guillaume, Ekambi  Brillant ou encore Ben Decca, Dina Bell est doué d’une sensibilité à fleur de peau. Celle-ci ne pouvait s’exprimer chez un artiste de sa trempe que dans la pratique du slow à grande échelle, si vous permettez l’expression ! Doué en plus de l’un des plus somptueux vocal de la planète makossa, et d’une technique de chant conséquente, l’homme ne pouvait produire, en ce genre où ne s’hasarde pas n’importe quel quidam, que des pièces d’exception !  Le créateur de Oa nde, Sophie, et de Se to mba, se catégorise parmi les tous premiers de la classe, dans un milieu spécieux, douillet, où les candidats, pour cause d’insuffisance technique et artistique, ne se bousculent pas au portillon.
Tout comme Ekambi Brillant, Toto Guillaume ou Ben Decca, Dina Bell a labellisé son slow aux yeux du public camerounais. Au point que Dina Bell sans sa production de slows ne serait pas Dina Bell !  Et s’il est un domaine par excellence, où sa présence viendrait à manquer aux mélomanes, c’est bien celui-là. Surtout que de nos jours, en ces années 2000- 2011, pour cause de carence de véritables spécialistes, le slow camerounais  est en perte de vitesse. Seuls quelques anciens, issus bien évidemment de l’âge d’or du makossa, continuent toujours à porter haut le flambeau du slow camerounais !
Mais enfin ! Y a-t-il un homme ou une femme ayant eu ses 20 ans dans les années 80, 90, qui avouerait, n’avoir pas eu à succomber aux charmes de ces compositions de Dina Bell, même par personne interposée… !?

L’artiste interprété par ses pairs

            Sans aucune surprise, les reprises sur support et les interprétations en cabaret des œuvres de Dina Bell, sont prioritairement pointées sur ses slows, dont le classicisme n’est plus à établir.  Sophie vient en tête des œuvres les plus visitées, autant par Dina Bell lui-même, qui en a commis déjà quelques reprises, que par un interprète aussi doué que Tom Yom’s. Sa version de Sophie, est tout simplement décoiffante. Plus près de nous, la version jazzy de Germaine Ebelle, dont nul mélomane averti du milieu de la musique camerounaise n’ignore l’immensité du talent, est tout simplement surprenante !

Dina Bell : un immortel du makossa

Le compositeur de Mbemba Iyo et de Sophie, par son implication et sa réussite à l’histoire du makossa, s’est déjà donné une stature d’immortel du genre. Tout comme les autres ténors de cette mouvance musicale, il tient, plutôt bien que mal, son rôle au sein de l’édifice voulu et vivifier par tous. Cependant, en tant que l’un des gardiens de l’orthodoxie de ce rythme musical, du chemin reste encore à parcourir. Et, il leur restera toujours de la route à arpenter pour maintenir vivace la flamme levée,  tant pour leur propre compte que pour celui des générations futures. Et notre homme a assez de talent et de vista pour s’y maintenir sans trop d’anicroche. 


©Essombe Mouangue 2010
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