lundi 3 octobre 2011

Douleur (suite) : Douleur, l’une des figures les plus emblématiques de la musique sawa



(Il est rare de voir réuni en un artiste, une forte dimension religieuse tout autant qu’humoristique ! Douleur le réussit parfaitement, sans qu’à aucun moment, l’on ne puisse penser que ces deux états d’esprit paraissant assez paradoxaux, détonnent ou dénaturent l’unité de son œuvre)


Le sens religieux de Douleur


Les œuvres d’arts, qu’elle qu’en soit la discipline, celles qui s’impriment souvent durablement dans l’esprit des mélomanes, le sont le plus souvent par l’exploitation d’éléments de sens divers, sensés les équilibrer et les enrichir de manière irréversible. Que ceux-ci soient pensés en toile de fond ou dits, de manière plus ou moins directe ou immédiate. Parmi ses éléments de sens, citons l’élément religieux, celui qui tient au sacré ; qui en appelle à la place de l’être humain dans l’agencement de l’univers et même pourquoi pas, au pourquoi de ce monde qui nous est donné tout au plus, sans que nous n’en sachons de manière certaine, les finalités[1]. Dans Wake up Africa, le mélomane attentif constatera que des citations bibliques sont faites, en la personne de Moïse, et même du Christ. Ce qui nous amène à aborder une autre des dimensions de Douleur. C’est à dire, l’homme profondément pénétré de religiosité. Celui qui truffe la majorité de ses créations musicales, de références bibliques. Douleur qui va même jusqu’à adopter dans certaines de ses mélodies, un ton qui n’est pas sans rappeler le vocal d’un prêtre surpris  en pleine exécution de son service dominical !
Mais cet ancrage avoué au Christianisme, atteste certainement  pour Douleur, le besoin d’affirmer la force de son sens religieux et spirituels naturels, tel que transmis par son entourage immédiat, qu’un choix impératif, à priori,[2] pour cette philosophie religieuse issue du Moyen-Orient, comme bien d’autres. On l’imaginerait aussi aisément revêtu des attributs d’un grand prêtre Egyptien, serviteur d’Amon Râ et pourquoi pas en bonze tibétain ou encore en moine hindouiste... ce qui importe surement, c’est l’affirmation d’un « lien » avec des forces innommables sensées être à la création et à l’ordonnancement du monde.
Quoi qu’il en soit de cette introduction du sacré dans ses compositions par l’entremise de larges pans de cultures bibliques, celle-ci contribue à enrichir énormément le contenu de ses textes. Ils en revêtent une pertinence et une forte solennité, dont on ne retrouve la qualité et l’ampleur chez aucun autre chanteur à vocation populaire de la place ! En cela encore, il se distingue de quelques autres tenants du makossa qui utilisent de manière superficielle, les citations religieuses, sans qu’on ne voit en leur personnalité, une véritable implication, une quelconque cohérence dans ce domaine proprement dit. En cela, de par leur nature intrinsèque, soulignons-le, ils restent majoritairement, sur le côté basique traditionnel du makossa. Celui qui fait de cette musique primitivement, des sons festifs, tournant évidemment sur une thématique essentiellement elle-aussi festive ! En ceci, Douleur qui est cette « douleur »[3] qui restera, est plus à lier certainement avec la douleur, la souffrance ou la passion de l’autre sur la croix…
 Diso la suwe : Même si la galère installe la déprime dans tes pensées, dis-toi bien que ta dèche, notre Père n’en ignore rien/ Lorsque je suis né, j’ai compris que cette existence me serait difficile, mais je me suis dit qu’il fallait mieux éviter de me prendre la tête, pour me prémunir de toutes sortes de malchances/ Si tu ne sais pas prier, tu ne t’en sortiras jamais/ Mon seul réconfort demeure ma muse, mon chant qui se doit de me protéger de toutes mes infortunes, de tous mes adversaires/ Chacun d’entre nous récoltera ce qu’il aura semé ; je ne me lamenterai plus, je ne me lamenterai plus, j’ai compris ce que c’est que la vie/ Je m’en retournerai, m’en retournerai, je ne me lamenterai plus, j’ai compris ce que c’est que la vie... )

Douleur, l’homme de l’humour à multi-facettes

Comme nous l’avons laissé penser dans le chapeau d’introduction à cette suite de portrait sur Douleur, l’énorme intérêt manifesté par Doualla Alexandre pour la chose religieuse, aurait pu donner l’impression, que nous nous trouvons en présence d’un personnage austère, difficile, constipé, renfrogné, un moine, quoi ! En un mot, un personnage peu enclin à la plaisanterie et au rire. Tendance pourtant communément répandue en Afrique Noire. Ce qui serait faire mentir la légende, car Douleur est un artiste qui se caractérise heureusement pour les mélomanes, autant par son sens religieux que par son humour corrosif ! Humour que l’on retrouve présent dans la majorité des thèmes que nous venons tantôt de citer. Que Doualla Alexandre soit surpris dans la douleur, la mésaventure, l’infortune, ou dans la joie, il use toujours de cet humour bon enfant, surprenant, lorsqu’il n’est pas simplement ironique ! Et même de cette autodérision, qui l’aide à transcender certaines situations qui ne l’ont pas souvent été favorables. Humour dont les mélomanes avertis qui le suivent depuis près de trente ans, ont appris à reconnaître les multiples facettes. Et la majorité des thèmes qu’il aborde, passe par ce traitement désopilant, qui les revêtent d’un éclat particulier : l’amour où encore les relations sentimentales qui sont d’ailleurs approchées avec le plus grand tact, sont le plus souvent pour lui, l’occasion de pointes comiques qui éclatent fortement dans des titres tels que Wonderfull wordJombwe nde , Peux Maintenant, Nkunkele, Mademoiselle, Lambo la tamba etc., Même des symboles les plus fondateurs du Christianisme, sont traités de manière amusante dans le titre Gloire aux femmes. Sa collaboration artistique avec des auteurs-compositeurs du continent n’échappe pas elle-aussi, à ce besoin espiègle de dire les choses en y apportant sa touche particulière. Souvenez-vous du duo avec Maiga, la chanteuse ivoirienne.
Cette utilisation de l’humour que l’on retrouve dans les œuvres de Douleur, qui amène souvent l’auditeur à se demander quant-est-ce qu’il est sérieux, et quant-est-ce il ne l’est pas, il est difficile d’en ravoir la constance dans les œuvres de ces contemporains. Tout au plus peut-on évoquer certaines figures de la musique camerounaise, qui ont eu dans quelques-uns de leurs titres à faire preuve d’humour[4]. Mais si on doit rapprocher certaines d’entre elles de Douleur, par leur capacité permanente d’autodérision, parlons du regretté Pablo Ekambi ou encore, plus près de nous, d’un interprète comme Hugo Nyamè qui, non content d’être assis dans les fondamentaux vocaux de son aîné, est aussi doué d’une capacité d’autodérision appréciable.
Gloire aux femmes : (sans argent pas de sexe) ; entre l’homme et la femme, mais qui sait qui  porte le caleçon à la maison ?/ On m’aurait dit que l’amour était fou et défendu, moi j’aurai jamais crû/ Jésus a vu tout ça venir il a fait marathon/ Dieu a compris ça, il a fait demi-tour/ Il a  même juré qu’il ne mettra plus pied sur terre/  Seulement Marie est restée pour l’amour de ses enfant/ On va voir qui est qui dans la maison/  No money, no money oh, no money no jigijigi, no jigijaga/ You get money you talk/ You no gettam you sleep/ You no gettam you no vex/

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011

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[1] De l’animisme des peuples préhistoriques, au polythéisme égyptiens, grecs, romains et finalement au monothéisme des peuples du Moyen-Orient, tant qu’il y aura des hommes, l’histoire des religions restera en perpétuelle évolution. Tout comme l’évolution darwinienne des espèces. On n’en a pas encore vu le bout du tunnel !
[2] L’évocation du Mungi dans Sawadouala souligne à souhait,  la multiplicité d’expériences mystiques dont est capable Douleur. On peut même parler d’une dualité d’approche de la chose religieuse dans son ensemble.
[3] Ecouter attentivement le morceau Sawadouala.
[4] L’humour corrosif de Charles Lembe, n’est plus  à narrer. Francis Bebey, dans le genre aussi n’était pas un maladroit. De même, la gouaille d’Eboa Lotin était aussi bien connue du public camerounais.

lundi 12 septembre 2011

Douleur (suite) : Douleur, l’une des figures les plus emblématiques de la musique sawa



(Douleur ne s’attache pas seulement à se mettre en colère contre le sort, souvent dévalorisant, réservé à l’immigration africaine en Occident. Il est aussi profondément conscient du rôle qu’il se doit de mener dans son continent d’origine)


Douleur et l’indignation face aux injustices se déroulant au sein de  son propre continent

Cependant, Douleur ne s’attache pas seulement à se mettre en colère contre le sort, souvent dévalorisant qui est réservé aux membres de l’immigration africaine en Occident. Ce combat lui est beaucoup plus extérieur que pour beaucoup d’autres artistes et écrivains africains qui en viennent à s’identifier aux problèmes des banlieues européennes. Au point d’en oublier ainsi les luttes qu’ils ont à mener dans leurs propres arrière-cours africaines ! Apparemment, malgré son installation en Occident, Douala Alexandre est profondément conscient du rôle qu’il se doit de mener dans son continent d’origine. D’où son interpellation des forces vives du continent, à une époque (fin des années 80, où certainement le plus grand d’entre eux, Nelson Mandela[1] est encore emprisonné dans les geôles sud-africaines.
La dimension africaine de Douleur transparaît donc dans Wake Up Africa où il n’appelle simplement pas à la libération de Nelson Mandela mais, à l’éveil, au décollage économique de ce continent en proie, à la faim, la misère et au sous-développement structurel.
 Wake up Africa : free, free Nelson Mandela, Jesus Christos, Jesus Christ, come on helped my people…)
Et cette prise de position assez panafricaniste sur le devenir du grand ensemble africain, en appelle aussi à une autre qui lui est plus congénitale, plus immédiate : celle constituée par l’interrogation sur l’évolution de son groupe social ethnique.

Douleur, le héraut par excellence du monde et de la musique sawa

Dans cette thématique qui lui est particulièrement cher, lui le Douala de Deïdo va plus loin. Il retrouve les racines communes constituées par la grande famille, la matrice originelle intermédiaire Sawa. Celle dont l’autorité primitive, spirituelle et politique et judiciaire reste le Ngondo. Et évidemment, bardé de son rôle de héraut, rôle que lui confère autant, sa capacité à prendre pour sien, les tourments de ces concitoyens, que son utilisation du ngoso traditionnel, il s’en prend aux phénomènes de perte de pouvoir du peuple Sawa sur son environnement immédiat. Perte de rayonnement qui se manifeste sur le plan matériel par la vente de ce patrimoine foncier constitué en majorité par la ville de Douala et ses banlieues proches. Une situation qu’avait eu aussi à déplorer en son heure, le regretté Eboa Lotin dans l’un de ces titres les plus célèbres et les prophétiques.
            Une perte de pouvoir spirituel et politique qui est caractérisée aussi par la perte d’influence des grandes chefferies Sawa sur la marche politique du pays. Elles qui sont pourtant à l’origine du traité symbolique liant le Cameroun à l’Allemagne impériale de 1884.
Et parlant même de cette musique sawa qui a participé au rayonnement de ce groupe ethnique à travers le monde, il en vient à désapprouver la perte des fondamentaux laissés par les illustres aînés dans le domaine que sont les Nelle Eyoum, Lobè Lobè, Elie Mbongue etc.,  tout ça pour livrer au public une musique, qui va dans tous les sens et dont les paroles sont généralement d’une grossièreté sans équivoque. Avec cette critique même, foncièrement axée sur la perte des fondamentaux de la musique sawa, il se pose non seulement en témoin de la « science » musicale de ces illustres aînés disparus, mais en continuateur, en porte-flambeau d’une musique dont la mystique profonde lui semble être congénitale.

Le caractère mystico-sentencieux du titre Sawa douala


Avec le titre Sawa duala, Douleur sort du simple traitement anecdotique d’une œuvre voulant coller aux réalités socio-économiques et culturelles de sa région natale ; il entre de plein dans un traitement thématique et musical qui donne à sa création, une puissance d’évocation et même d’invocation, Hé oui ! qu’on ne retrouve dans aucune autre œuvre de la planète makossa ! Dans cette œuvre qui s’égrène telle une sentence, Douleur n’y est pas un quelconque artiste chantant mais plutôt un homme, un sawa armé, investit de tous les attributs traditionnels, sensés lui conférer cette parole d’aîné, cette gouaille de grand-frère implacable, jetant un regard des plus critiques et des plus violents sur le devenir de sa communauté. Si le talent de Douleur et son implication à la chose sawa, étaient déjà reconnus auprès des mélomanes camerounais, avant ce titre, celui-ci aura aussi contribué à assoir de manière incontournable et irréfutable, sa stature d’héraut du monde sawa.
Un engagement donc de Duala Alexandre pouvant paraître assez radical quant aux nombreux problèmes qui minent son groupement social sawa originel, surtout que ces problèmes sont loin d’être solutionnés.
Sawa duala : Douleur y parle de nombreuses figures emblématiques Sawa décédées, Soppo Priso entre autres, de la perte de pouvoir des sawa sur cet espace qui leur est vital/ De tous ces jeunes artistes sawa qui proposent maintenant au public, des œuvres vides de contenu/ mais aussi du sursaut nécessaire du Ngondo)


(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011
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[1] La libération de Nelson Mandela surviendra finalement, en février1990.

dimanche 14 août 2011

Douleur (suite) : Douleur, l’une des figures les plus emblématiques de la musique sawa




(Les dons vocaux de Douleur, auraient pu faire de lui un crooner sans plus du makossa, mais plus encore, il est parvenu à être un artiste remettant en cause les tares les plus marquantes de sa société)


La richesse des textes de Douleur


Mais s’il est vrai que son jeu vocal est l’un de ces points forts, Douleur se distingue tout autant par la qualité de ses textes. Il convient d’ailleurs de dire que cette aura, cette dimension  particulière qu’il a dans le makossa lui vient de ceux-ci. Elle découle en droite ligne de cette foisonnante thématique qui lui colle à la peau ; parce qu’il s’agit tout simplement pour lui d’affirmer ses convictions profondes, son expérience existentielle, ses attentes quant au monde qui est en train de se construire sous ses yeux. En un mot, ses textes sont pour lui l’occasion de conforter, d’attester de son existence à la face de ses frères Sawa, qui tiennent une place centrale dans son œuvre et, du monde entier qui n’en est pas moins l’entité dernière à pénétrer et à domestiquer… si tant qu’il le soit possible !
Une riche thématique qui est en adéquation directe avec les grands problèmes qui interpellent l’individu africain né avant, ou un peu après les indépendances politiques des Etats du continent. En y apportant donc sa touche particulière, tout au long de sa carrière qui est loin d’être achevée, Douleur chante, l’exode massif des jeunes africains vers l’Occident. Il en appelle à l’éveil des forces vives du continent, il se fait le chantre, le défenseur de son terroir natal Sawa. En homme profondément  pénétré de la geste religieuse, il fait des excursions constantes dans le sacré et tout cela toujours majoritairement livré dans une langue Duala non donnée au commun des artistes Sawa.
Mais, appesantissons-nous un moment dans cette thématique sans commune mesure avec la musique de variété ambiante.
Dja nu bi, une adaptation du Let it be des Beatles : (Qui c’est comment le monde est fait) « Si d’aventure, un éléphant dévaste le champ de ton voisin sans que tu ne fasses action de le chasser, sois certain que demain, il en sera de même pour toi/ Si d’aventure, un éléphant dévore le champ de ton voisin et que tu ne sois que spectateur, sois certain que demain tu subiras la même chose/ De cette misérable existence si vide, pourquoi vous en faites-vous les propriétaires exclusifs/ Regardez cette petite œuvre musicale que j’essaye mettre en place, pourquoi est-ce encore-là, une occasion de me jalouser/ Qui-est-ce qui en sait plus sur les finalités du monde/

Douleur et le « théâtre » toujours instable de l’immigration

La thématique qui relate l’exode massif des jeunes africains vers l’Occident Chrétien, n’est pas étrangère à Douleur, puisqu’il est lui-même un enfant de l’immigration. Ce qui le rend, à priori, conscient des nombreux problèmes qu’engendre cette immigration. Difficultés qui sont loin d’être réglés pour lui, lui qui vit toujours en Hexagone. Qu’on soit en conformité avec le pays où l’on a choisi de s’installer, n’entraîne pas moins que vous soyez solidaire des désagréments (légaux ou pas) qui viennent déstabiliser les membres de votre communauté raciale. Etant donné de fait, que vous êtes, que vous le vouliez ou non, confondu à ce groupe.  Le morceau Travailleur immigré illustre d’ailleurs à souhait, la précarité et le train-train de cette vie dans les métropoles occidentales, si différente du vécu quotidien sur son continent d’origine.
Travailleur Immigré : Y a pas moyen dans la vie, il faut simplement travailler, débrouiller/ Y a pas moyen dans la vie, il faut simplement débrouiller/ Débrouiller/ Travailler débrouiller c’est ça la vie/ Travailleur immigré, travailleur immigré/ Vivre à l’étranger c’est pas facile/ Parce que l’argent que tu travaillé là-bas, c’est simplement pour payer ton loyer/ Payer nourriture/ Payer santé/ Le petit qui reste sur le tapis, tu ne peux même pas faire économies/ La vie-là c’est quoi-même/ Métro boulot dodo/ Métro boulot dodo/ Pauvres immigrés/ Pourtant chez nous on les appelle coopérants… /

Douleur et la revendication impérieuse du terroir

Il faut dire que dès les années 80, comme beaucoup de ces collègues artistes ayant forgé la renommée du makossa en Afrique et en Hexagone, Douleur a émigré en France. Lui ce jeune Deïdo-boy qui a reçu une éducation sawa au sein de sa famille à Bonantonè est, dès lors confronté à une autre culture existentielle qui évidement, rentre en opposition directe avec la sienne d’origine. D’où des changements, des bouleversements dans son existence quotidienne et même dans ses aspirations profondes. Parvient-il à retrouver ses rêves de jeunesse dans ce continent  nouveau pour lui, où il assiste impuissant à l’épanouissement et au renforcement du concept de mondialité ? Et partant, à l’émiettement autour de lui, de son bagage culturel intrinsèque, venant du fin fond de l’Afrique ? Nous ne le saurons peut-être jamais, toujours est-il qu’il se manifeste en lui une forme de rébellion épidermique à cette sorte d’exil forcé en France puisque celui-ci est nécessité par son métier d’artiste, mais aussi et surtout à cause des énormes difficultés économiques auxquelles sont confrontés les pays africains. D’où le besoin pour Douleur d’affirmer à la face du monde ses origines. De clamer tout haut son appartenance au clan de Tét’Ebele ; de dire le Déido-boy pur et dur de Bonantonè qu’il est. Celui qui fait de cette terre ancestrale, lieu où a été enseveli son cordon ombilical, sa dernière demeure lorsque le moment sera venu.
Dans ces créations-là, on sent poindre une nostalgie somme toute normale et une notion d’appartenance à un espace culturel premier qui se doit de transcender la pesanteur de ce monde nouveau qui vient se greffer sur le sien.
 Deido city, my home[1] : Je suis né à Bonebela, j’ai grandi à bonebela/ C’est mon amour pour toi qui m’a mené chez vous/ J’appartiens à TétE’bele/ C’est en lui que j’ai grandi C’est en lui que j’ai fait mes premiers pas/ C’est là qu’est  enseveli mon cordon ombilical/ qu’il m’arrive d’aller où, ou de m’établir en quel endroit du monde, là est ma patrie/ C’est la quête d’amour qui m’a mené chez vous…/
Mais le vécu toujours aussi problématique en Occident continue à le rappeler à l’ordre. Et c’est de cette même terre française, terre d’accueil pour nombre de tiers-mondistes qu’il commettra un titre en réaction directe avec la chasse aux sorcières dont est l’objet en ce milieu des années 80, les ressortissants de l’immigration africaine. Celle-ci se manifeste concrètement dans la rue, les métros, les trains, par des contrôles permanents de pièce d’identité, orchestrés par les forces de police. Et surtout par des reconductions manu militari aux frontières pour les Africains surpris en situation irrégulière. Sans oublier tout ce que ces mesures entraînent comme comportements xénophobes, racistes… Et pour couronner le tout, le lot de bavures malheureuses, résultat de l’excès de zèle des uns comme des autres.
Une situation assez instable qui crée autour du passage de Charles Pasqua[2] à la tête du ministère de l’Intérieur français un fort climat de psychose au sein du monde des immigrés. Assurément, en cette fin des années 80, pour eux, il ne faisait pas bon vivre en France[3]. Mais l’alternative qu’aurait pu constituer le retour dans leurs états d’origine, ne valait guère mieux pour certains. La situation économique de ces pays qui avaient connu des jours meilleurs après les indépendances, en cette fin des années 80, affichaient un profil bas. Déjà s’annonçait à l’horizon, l’ombre des dévaluations du Franc Cfa[4].
Charter au Mali : (Souvenez-vous du charter organisé par les forces de police française pour quelques ressortissants maliens en situation irrégulière) « Chaque matin chaque matin, moi je prends mon petit café/ comme d’habitude j’allume même cigarette, pourtant je ne suis même pas fumeur, mais je suis obligé de fumer parce que problème y a carte de séjour, ça me chauffe/ je suis parti préfecture demander carte de séjour, commissaire y me dit que n’y a plus carte de séjour/ Maintenant la France est libérée, il faut retourner ton pays ; il n’y a plus travail pour toi ici/ Je suis étudiant/ Y a plus place pour toi ici il faut retourner ton pays/ Je suis ancien combattant/ Y a plus place pour toi ici, il faut retourner ton pays/ Ah ! Nzambé ! Les enfants du bon Dieu sont traités comme des canards sauvages/ Et si gaulois était mon ancêtre pourquoi alors envoyer charter au Mali» 

(A suivre)


©Essombe Mouangue 2011

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[1] Avec cette révélation sur son identité première, Douleur est parmi les premiers artistes camerounais à être allé jusqu’à préciser géographiquement son appartenance locale. Ben Decca suivra le pas en allant lui jusqu’à interpréter l’hymne de Deïdo et en affirmant lui aussi, son appartenance à ce canton du grand Duala.
[2] Charles Pasqua a été ministre français de l’Intérieur de 1986à 1988, lors de la cohabitation. Il est connu pour être l’un des ministres qui aura installé la psychose au sein des immigrés, par la « loi » du faciès. Celle-ci consistait à l’instauration de contrôles d’identité pratiquement systématique dans les rues des principales villes françaises. Evidemment, les Noirs et les arabes étaient les principales personnes visées par ces contrôles, inimaginables pour un pays qui se dit aussi développé.
[3] Je ne sais pas si ça a beaucoup changé !
[4] Cette dévaluation du franc CFA interviendra en 1994, avec les effets néfastes que nous connaissons actuellement. 


Douleur, l’une des figures les plus emblématiques de la musique sawa




(Cet artiste nous arrive aussi des années d’or du makossa. Mais, au lieu de se contenter de cette carte d’identité qui a convenu  à bien d’autres de ses coreligionnaires de la planète makossa, il est parvenu à survivre à la bourrasque du temps, et à finalement survoler ses années glorieuses dont tant d’autres, ont du mal se relever !)

Le makossa, tendance musicale issue du terroir Sawa, a connu l’une de ses périodes d’or dans les années 80, grâce à une floraison d’artistes. Ceux-ci sont eux-mêmes, ces derniers temps, la proie de fortunes diverses. En ces années 2010 caractérisées par de nouvelles pistes musicales, certains s‘en tirent tant bien que mal, tandis que d’autres moins chanceux ou doués, plongent complètement du nez. Mais parmi les irréductibles, les puristes, les talentueux, ceux qui ont su résister à la bourrasque, au balayage de leurs choix artistiques, nous notons la présence de Douleur. Plus précisément de Douala Alexandre, le géniteur de  « Nkonkele », ce titre devenu mythique dans les rues de Douala, tant il y innovait par son utilisation du Ngoso traditionnel. Tant notre bonhomme tranchait avec les techniques linéaires et conventionnelles des tenants du makossa ambiant. Douleur, le « Douleur » que s’évertue encore à imiter et à interpréter moult jeunes vocalistes ambitieux des cabarets et piano bars du pays.
Nkonkele : c’est une chanson d’amour où Douleur parle de son amour pour une fille qui le lui rend assez mal. De dépit, il y va jusqu’à entrevoir sa propre mort par la pendaison : « Je prends soin pourtant de mon aimée, je prends soin pourtant de son père et de sa mère, mais voilà, n’empêche que je me fais insulter tous les jours/ N’empêche qu’ils me vilipendent dans la ville de Douala / Il n’y a personne pour reconnaître mes efforts/ Je fais tout ça pour eux, tandis que ma pauvre mère n’a personne pour la tresser, et que mon père ne reçoit jamais de simples salutations de politesse/ Je fais tout pour elle et sa famille, n’empêche que je suis en train de la perdre/ n’empêche que notre relation est en train de mourir)[1]
De Douleur, on aurait pu penser que ces longues années d’exil, de pérégrination et de silence dans les villes occidentales[2], signifiait une rupture avec son art, ou plus grave encore, une volonté d’intégration artistique à ces espaces culturels européens, comme beaucoup d’autres artistes africains avant lui ont dû le faire. Mais, il n’en est rien, le personnage est resté le même. Mieux encore, au regard de ses créations de ces dernières années, survenues au début des années 2000[3], comme tout bon vin se bonifiant avec les années, notre artiste  à la coiffure rasta et au look vestimentaire d’éternel jeune, a encore ajouté plus d’un registre à son art. Au point où l’on est en droit de s’interroger jusqu’où il ira dans ce domaine, lui qu’on peut déjà considérer, comme l’une des figures les plus emblématiques de la musique sawa. Et ce, pour les raisons que nous allons évoquer sans plus tarder.
Oh shame : Dans cette chanson où l’on retrouve des références bibliques, Douleur exhorte ses détracteurs à prendre garde. Car il leur sera demandé un jour de rendre compte de la véracité de leurs médisances à son endroit : « Il nous sera encore donné l’opportunité de nous retrouver au mont Golgotha, je serai ravi de te voir et de te poser cette question : qu’elle en a été ton bénéfice ? Qu’en as-tu tiré ? Honte à vous ! Honte à vous ! Vous qui colportez les commérages, prenez garde ! Il vous sera demandé un jour de vous porter garant de vos dires / Nous finirons bien par nous rencontrer au sommet du mont Golgotha[4] !)

Douleur, le créateur doué de  multiples « rythmes »

Doualla Alexandre ou encore Douleur, se distingue tant par ses excursions dans les styles musicaux du terroir, la qualité de sa technique vocale, que par le traitement tout particulier accordé à ses textes. Ceux-ci font de lui, non seulement un chanteur engagé dans bien de domaines, mieux encore, un véritable poète de la langue Duala dont il se plaît à traquer tous les trésors.
En ce qui concerne ses excursions dans les genres musicaux du terroir, Douleur n’a pas eu peur de s’attaquer à l’Assiko du monument Jean Bikoko. De même pour le Bikutsi déjanté des Têtes brûlées ou celui d’une Cathino encore plus salace ; le Mangabeu de Pierre Didi Tchakounté y est aussi passé. Le High Life ghanéen et nigérian, le mapouka ivoirien et bien d’autres rythmes n’ont pas échappé eux aussi, à son envie, d’apporter sa touche particulière à l’édifice musical national et intercontinental.
Douleur qui n’est pas du tout sectaire dans ce domaine, à le voir évoluer, nous donne l’impression qu’il semble considérer ces exercices de style comme autant de palier à atteindre, dans l’acquisition et la pleine maîtrise de son art, mais comme aussi un besoin de communier avec les différents acteurs musicaux de son monde. Comme une manière d’avoir à manger dans le même plat artistique que ces coreligionnaires de tous les horizons du continent. Et au final, d’échanger avec ce public camerounais et africain développant autant de musiques ambivalentes mais toujours consanguines.
No palaba : Je n’aime pas les problèmes / Je n’aime pas les ennuis / Les problèmes ne sont pas choses bonnes / Prends et va-t-en ! Nulle nécessité de concurrence ne s’impose/ : Vagabonde ! va à n’importe quel endroit qui te plaira ! Dor !, endors-toi à n’importe quel endroit qui te plaira/ Vole, pose-toi à n’importe quel endroit qui te plaira tout en sachant que tu ne te poseras jamais plus haut que le ciel / Palaba no fine/ Palaba no good/


La qualité du vocal de Douleur

Quant au volet constitué par la qualité de sa technique vocale, on peut dire qu’elle est assez diversifiée, puisque son registre vocal lui permet de chanter de manière assez conventionnelle, c’est à dire d’adopter un débit normal linéaire, tous comme les autres chanteurs du makossa classique, sans trop forcer sur la note mélodique, ni sur les montées et les descentes. La voix suivant fidèlement le tempo édicté par la musique. C’est dans ce style assez classique pour lui, qu’il composera  aussi ses slows. Ceux-ci ressemblent à tout point de vue aux slows camerounais de l’heure et d’antan, qui ont pour principaux thuriféraires : Ekambi Brillant, Dina Bell, Ben Decca, Guy Lobé, Henri Njoh, etc.,
Signalons au passage que certains de ses arrangeurs ont même tenté de lui imposer de manière durable cette manière de chant, moins révolutionnaire, moins inattendue, mais qui correspond le mieux à leur propre feeling musical. Nous vous en donnons ici un exemple avec le titre Eyala Ndolo. Exemple que vous retrouverez d’ailleurs dans plusieurs de ces albums. Douleur ne dédaignant pas comme nous l’avons déjà constaté, faire dans une composition musicale assez disparate.
Eyala Ndolo : Sans aucune nouvelle de toi, je suis fatigué d’attendre/ comment ça va pour  toi là-bas ? Fais-le-moi savoir pour que mon cœur en soit soulagé/ Même si la vie ne t’est pas facile, fais-moi quand même signe, afin que je puisse moi aussi me dire que j’ai quelqu’un qui m’aime/ Sinon, l’inquiétude et le doute s’installent/ Car des mots d’amour venant de son aimée sont toujours bon à entendre/ Dis-moi ce qu’il y aurait de plus fort que l’amour ? Qu’y-a-t-il de plus fort que l’amour ?/ Je suis aux anges chaque fois que je parviens à avoir de tes nouvelles/ Ecris-moi quand même, mon amour/ Qu’y-a-t-il de plus fort, de plus essentiel  que l’amour ?)

L’artiste moderne qui a donné ses lettres de noblesse au Ngoso traditionnel !

Mais cette manière de chant assez classique qui est d’ailleurs commune aux genres musicaux qui fleurissent dans nos rues, n’est pas celle qui est naturelle à Doualla Alexandre. Car Douleur est en réalité un être doué d’un vocal au débit volubile, volontaire, qui vous prend par les tripes et ne vous les lâche plus, jusqu’à ce qu’il ait livré le maximum de son message rythmique et mélodique. Douleur c’est l’une des techniques de chant les plus exigeantes du circuit de la musique camerounaise toutes tendances confondues ! Et c’est peut-être là,  que s’origine le choix d’interprétation de son œuvre musicale par tous ces jeunes et vieux artistes de cabarets. Ils sont certainement avides de se faire un nom, mais reste tout aussi soucieux de maîtriser et d’acquérir cette performance vocale exceptionnelle. Des cordes vocales exceptionnelles qui sont rehaussées, et mises en valeur par l’utilisation du Ngoso, cette technique de chant propre aux peuplades Sawa du littoral camerounais. Celle-ci consistant grosso modo, en de longues mélopées rythmées et paraissant souvent sans fin.
Signalons que Douleur est avec le groupe Nabask, et dans une moindre mesure, le groupe Masao, le chantre moderne par excellence de cette tendance musicale si riche d’intonations et de génie traditionnelles propres.
Ho non : Personne ne sait pourquoi je chante tous les jours/ Personne ne sait pourquoi je pleure tous les jours/ je suis un chanteur qui vit enchaîné / Avec beaucoup de difficultés, j’essaye de me débrouiller afin qu’à l’avenir, quiconque ne puisse se lever pour m’insulter/ Que quiconque ne puisse se lever pour dire n’importe quoi sur moi/ j’ai vu des choses, j’en ai vu des choses dans notre monde/l’être humain est méchant/ Tellement méchant/

La richesse des textes de Douleur


Mais s’il est vrai que son jeu vocal est l’un de ces points forts, Douleur se distingue tout autant par la qualité de ses textes. Il convient d’ailleurs de dire que cette aura, cette dimension  particulière qu’il a dans le makossa lui vient de ceux-ci. Elle découle en droite ligne de cette foisonnante thématique qui lui colle à la peau ; parce qu’il s’agit tout simplement pour lui d’affirmer ses convictions profondes, son expérience existentielle, ses attentes quant au monde qui est en train de se construire sous ses yeux. En un mot, ses textes sont pour lui l’occasion de conforter, d’attester de son existence à la face de ses frères Sawa, qui tiennent une place centrale dans son œuvre et, du monde entier qui n’en est pas moins l’entité dernière à pénétrer et à domestiquer… si tant qu’il le soit possible !
Une riche thématique qui est en adéquation directe avec les grands problèmes qui interpellent l’individu africain né avant, ou un peu après les indépendances politiques des Etats du continent. En y apportant donc sa touche particulière, Tout au long de sa carrière qui est loin d’être achevée, Douleur chante, l’exode massif des jeunes africains vers l’Occident. Il en appelle à l’éveil des forces vives du continent, il se fait le chantre, le défenseur de son terroir natal Sawa. En homme profondément  pénétré de la chose religieuse, il fait des excursions constantes dans le sacré et tout cela toujours majoritairement livré dans une langue Duala non donnée au commun des artistes Sawa.

(A suivre)


©Essombe Mouangue 2011

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[1] Les mots ne suffisent pas souvent pour présenter toute la saveur des chansons de Douleur. Comprendre et parler duala couramment, permet mieux d’approcher l’esprit toujours décalé et fantaisiste de ce grand homme du makossa. Ce qui n’est pas donné à tous ses fans, malheureusement !
[2] Beaucoup d’artistes Camerounais et Africains parti à l’aventure dans les années 70-80, ont finalement élu pour domicile, les villes occidentales où ils ont atterri. Pour des raisons ou pour d’autres.
[3] L’ album Armageddon et pourquoi pas, les opus Fureur.
[4] Ma traduction est assez minimaliste, à cause de l’emploi par Douleur de proverbes et d’un duala assez châtié, ces textes restent difficilement accessibles au mot à mot.