dimanche 14 août 2011

Douleur (suite) : Douleur, l’une des figures les plus emblématiques de la musique sawa




(Les dons vocaux de Douleur, auraient pu faire de lui un crooner sans plus du makossa, mais plus encore, il est parvenu à être un artiste remettant en cause les tares les plus marquantes de sa société)


La richesse des textes de Douleur


Mais s’il est vrai que son jeu vocal est l’un de ces points forts, Douleur se distingue tout autant par la qualité de ses textes. Il convient d’ailleurs de dire que cette aura, cette dimension  particulière qu’il a dans le makossa lui vient de ceux-ci. Elle découle en droite ligne de cette foisonnante thématique qui lui colle à la peau ; parce qu’il s’agit tout simplement pour lui d’affirmer ses convictions profondes, son expérience existentielle, ses attentes quant au monde qui est en train de se construire sous ses yeux. En un mot, ses textes sont pour lui l’occasion de conforter, d’attester de son existence à la face de ses frères Sawa, qui tiennent une place centrale dans son œuvre et, du monde entier qui n’en est pas moins l’entité dernière à pénétrer et à domestiquer… si tant qu’il le soit possible !
Une riche thématique qui est en adéquation directe avec les grands problèmes qui interpellent l’individu africain né avant, ou un peu après les indépendances politiques des Etats du continent. En y apportant donc sa touche particulière, tout au long de sa carrière qui est loin d’être achevée, Douleur chante, l’exode massif des jeunes africains vers l’Occident. Il en appelle à l’éveil des forces vives du continent, il se fait le chantre, le défenseur de son terroir natal Sawa. En homme profondément  pénétré de la geste religieuse, il fait des excursions constantes dans le sacré et tout cela toujours majoritairement livré dans une langue Duala non donnée au commun des artistes Sawa.
Mais, appesantissons-nous un moment dans cette thématique sans commune mesure avec la musique de variété ambiante.
Dja nu bi, une adaptation du Let it be des Beatles : (Qui c’est comment le monde est fait) « Si d’aventure, un éléphant dévaste le champ de ton voisin sans que tu ne fasses action de le chasser, sois certain que demain, il en sera de même pour toi/ Si d’aventure, un éléphant dévore le champ de ton voisin et que tu ne sois que spectateur, sois certain que demain tu subiras la même chose/ De cette misérable existence si vide, pourquoi vous en faites-vous les propriétaires exclusifs/ Regardez cette petite œuvre musicale que j’essaye mettre en place, pourquoi est-ce encore-là, une occasion de me jalouser/ Qui-est-ce qui en sait plus sur les finalités du monde/

Douleur et le « théâtre » toujours instable de l’immigration

La thématique qui relate l’exode massif des jeunes africains vers l’Occident Chrétien, n’est pas étrangère à Douleur, puisqu’il est lui-même un enfant de l’immigration. Ce qui le rend, à priori, conscient des nombreux problèmes qu’engendre cette immigration. Difficultés qui sont loin d’être réglés pour lui, lui qui vit toujours en Hexagone. Qu’on soit en conformité avec le pays où l’on a choisi de s’installer, n’entraîne pas moins que vous soyez solidaire des désagréments (légaux ou pas) qui viennent déstabiliser les membres de votre communauté raciale. Etant donné de fait, que vous êtes, que vous le vouliez ou non, confondu à ce groupe.  Le morceau Travailleur immigré illustre d’ailleurs à souhait, la précarité et le train-train de cette vie dans les métropoles occidentales, si différente du vécu quotidien sur son continent d’origine.
Travailleur Immigré : Y a pas moyen dans la vie, il faut simplement travailler, débrouiller/ Y a pas moyen dans la vie, il faut simplement débrouiller/ Débrouiller/ Travailler débrouiller c’est ça la vie/ Travailleur immigré, travailleur immigré/ Vivre à l’étranger c’est pas facile/ Parce que l’argent que tu travaillé là-bas, c’est simplement pour payer ton loyer/ Payer nourriture/ Payer santé/ Le petit qui reste sur le tapis, tu ne peux même pas faire économies/ La vie-là c’est quoi-même/ Métro boulot dodo/ Métro boulot dodo/ Pauvres immigrés/ Pourtant chez nous on les appelle coopérants… /

Douleur et la revendication impérieuse du terroir

Il faut dire que dès les années 80, comme beaucoup de ces collègues artistes ayant forgé la renommée du makossa en Afrique et en Hexagone, Douleur a émigré en France. Lui ce jeune Deïdo-boy qui a reçu une éducation sawa au sein de sa famille à Bonantonè est, dès lors confronté à une autre culture existentielle qui évidement, rentre en opposition directe avec la sienne d’origine. D’où des changements, des bouleversements dans son existence quotidienne et même dans ses aspirations profondes. Parvient-il à retrouver ses rêves de jeunesse dans ce continent  nouveau pour lui, où il assiste impuissant à l’épanouissement et au renforcement du concept de mondialité ? Et partant, à l’émiettement autour de lui, de son bagage culturel intrinsèque, venant du fin fond de l’Afrique ? Nous ne le saurons peut-être jamais, toujours est-il qu’il se manifeste en lui une forme de rébellion épidermique à cette sorte d’exil forcé en France puisque celui-ci est nécessité par son métier d’artiste, mais aussi et surtout à cause des énormes difficultés économiques auxquelles sont confrontés les pays africains. D’où le besoin pour Douleur d’affirmer à la face du monde ses origines. De clamer tout haut son appartenance au clan de Tét’Ebele ; de dire le Déido-boy pur et dur de Bonantonè qu’il est. Celui qui fait de cette terre ancestrale, lieu où a été enseveli son cordon ombilical, sa dernière demeure lorsque le moment sera venu.
Dans ces créations-là, on sent poindre une nostalgie somme toute normale et une notion d’appartenance à un espace culturel premier qui se doit de transcender la pesanteur de ce monde nouveau qui vient se greffer sur le sien.
 Deido city, my home[1] : Je suis né à Bonebela, j’ai grandi à bonebela/ C’est mon amour pour toi qui m’a mené chez vous/ J’appartiens à TétE’bele/ C’est en lui que j’ai grandi C’est en lui que j’ai fait mes premiers pas/ C’est là qu’est  enseveli mon cordon ombilical/ qu’il m’arrive d’aller où, ou de m’établir en quel endroit du monde, là est ma patrie/ C’est la quête d’amour qui m’a mené chez vous…/
Mais le vécu toujours aussi problématique en Occident continue à le rappeler à l’ordre. Et c’est de cette même terre française, terre d’accueil pour nombre de tiers-mondistes qu’il commettra un titre en réaction directe avec la chasse aux sorcières dont est l’objet en ce milieu des années 80, les ressortissants de l’immigration africaine. Celle-ci se manifeste concrètement dans la rue, les métros, les trains, par des contrôles permanents de pièce d’identité, orchestrés par les forces de police. Et surtout par des reconductions manu militari aux frontières pour les Africains surpris en situation irrégulière. Sans oublier tout ce que ces mesures entraînent comme comportements xénophobes, racistes… Et pour couronner le tout, le lot de bavures malheureuses, résultat de l’excès de zèle des uns comme des autres.
Une situation assez instable qui crée autour du passage de Charles Pasqua[2] à la tête du ministère de l’Intérieur français un fort climat de psychose au sein du monde des immigrés. Assurément, en cette fin des années 80, pour eux, il ne faisait pas bon vivre en France[3]. Mais l’alternative qu’aurait pu constituer le retour dans leurs états d’origine, ne valait guère mieux pour certains. La situation économique de ces pays qui avaient connu des jours meilleurs après les indépendances, en cette fin des années 80, affichaient un profil bas. Déjà s’annonçait à l’horizon, l’ombre des dévaluations du Franc Cfa[4].
Charter au Mali : (Souvenez-vous du charter organisé par les forces de police française pour quelques ressortissants maliens en situation irrégulière) « Chaque matin chaque matin, moi je prends mon petit café/ comme d’habitude j’allume même cigarette, pourtant je ne suis même pas fumeur, mais je suis obligé de fumer parce que problème y a carte de séjour, ça me chauffe/ je suis parti préfecture demander carte de séjour, commissaire y me dit que n’y a plus carte de séjour/ Maintenant la France est libérée, il faut retourner ton pays ; il n’y a plus travail pour toi ici/ Je suis étudiant/ Y a plus place pour toi ici il faut retourner ton pays/ Je suis ancien combattant/ Y a plus place pour toi ici, il faut retourner ton pays/ Ah ! Nzambé ! Les enfants du bon Dieu sont traités comme des canards sauvages/ Et si gaulois était mon ancêtre pourquoi alors envoyer charter au Mali» 

(A suivre)


©Essombe Mouangue 2011

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[1] Avec cette révélation sur son identité première, Douleur est parmi les premiers artistes camerounais à être allé jusqu’à préciser géographiquement son appartenance locale. Ben Decca suivra le pas en allant lui jusqu’à interpréter l’hymne de Deïdo et en affirmant lui aussi, son appartenance à ce canton du grand Duala.
[2] Charles Pasqua a été ministre français de l’Intérieur de 1986à 1988, lors de la cohabitation. Il est connu pour être l’un des ministres qui aura installé la psychose au sein des immigrés, par la « loi » du faciès. Celle-ci consistait à l’instauration de contrôles d’identité pratiquement systématique dans les rues des principales villes françaises. Evidemment, les Noirs et les arabes étaient les principales personnes visées par ces contrôles, inimaginables pour un pays qui se dit aussi développé.
[3] Je ne sais pas si ça a beaucoup changé !
[4] Cette dévaluation du franc CFA interviendra en 1994, avec les effets néfastes que nous connaissons actuellement. 


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