vendredi 8 avril 2011

BEN DECCA (suite) La Défense du makossa (Makossa me nde ndolè)


 
(Il est aussi arrivé à Ben Decca de s’interroger sur la perte de leadership du makossa sur les ondes nationales, tout comme d’autres artistes majeurs de l’âge d’or de ce rythme camerounais)
 
Comme la majorité des artistes du milieu makossa qui au cours des années 80, a pratiquement régné sans partage sur l’oreille des mélomanes camerounais, Ben Decca s’est interrogé sur la perte de leadership du makossa, survenue sur les ondes nationales à partir des années 90. Une perte d’audience qui a été attribuée, moins à une baisse de qualité des albums makossa produits, qu’à une volonté politique manifeste des patrons des médias nationaux de l’époque de privilégier le Bikutsi, un genre musical non pas naissant, mais dont les différentes créations et artistes, cantonnés en majorité dans le Centre, le Sud et l’Est du pays, peinaient à se démarquer de leurs ornières provinciales. Le but avoué de cette offensive « musicale » à outrance étant d’en arriver à asseoir au Bikutsi, une audience nationale ouvrant forcément la voie à la reconnaissance internationale. En un mot, on était plongé en plein dans une guerre larvée des rythmes du terroir qui ne disait pas son nom.
Cette situation « cathodique » quelque peu faussée sur l’échiquier national, était donc l’occasion pour Ben Decca tout comme pour Nkotty François et d’autres artistes de la galaxie makossa, de s’insurger contre ce penchant. Pour ces artistes pris au dépourvu, ce parti pris, principalement de la chaîne télévisuelle nationale qui était d’ailleurs à l’époque, la seule chaine de télévision sur le terrain,  porte une grande part de responsabilité dans la baisse de visibilité dont a été victime le makossa, au cours des décennies 90 et 2000… sans pour autant que l’on aille négliger d’autres facteurs inhérents aux insuffisances artistiques de ces hommes du makossa, que nous aborderons ailleurs qu’ici.
Dans Makossa phœnix, Ben Decca, va jusqu’à faire l’évocation outrée des pairs fondateurs de ce rythme qui a fait danser des générations de mélomanes ! Il en assoit aussi son caractère immortel en le comparant au phœnix qui renaît inlassablement de ses cendres. Il en profite pour lancer son fameux « makossa me nde ndolè », métaphore qui semble être taillée sur mesure sur ce plat camerounais et sawa devenu aussi célèbre au pays, qu’à l’extérieur des frontières du pays. Par cet engagement à ce combat assez délicat, Ben Decca est l’un des porte-étendards non seulement des plus prolixes, mais aussi des plus virulents quant à la défense de ce patrimoine du terroir qu’est le makossa.
Makossa Phoenix (Défense du Makossa) : Nelle Eyoum, Nkotto Bass, dites à Epée Mbende, et Eboa Lottin que j’ai été confronté au mal/ A la forfaiture/ Aké Loba, Kotto Bass, dites à Jean Paul Mondo et à Eboa Lottin que j’ai été confronté à la forfaiture / ils ont oublié que ce rythme que nos ancêtres nous ont légué est (phœnix) immortel/ qu’il ne prendra jamais fin/ Ils ont voulu l’enterrer tout dégoulinant de sève/ Ils ont oublié que le makossa dégoulinait de sève/ le makossa ne finira jamais, moi je vous l’affirme/ Ecrivez, dites tout ce que vous voulez, mais moi je vous dis que le makossa est comme le Ndolè, ne l’oublier jamais !/il est comme le Ndolè, ne l’oublier jamais !
  

La défense du patrimoine Sawa

A l’instar de Douleur et d’Eboa Lotin qui explore largement dans leurs créations musicales, les tares et déboires de l’univers Sawa, Ben Decca y fait aussi des excursions. Mais contrairement aux deux premiers cités, on peut considérer que Ben Decca qui est natif de Deïdo, n’en fait pas sa tasse de thé principale. Dans la première partie de ses créations, qui coïncident avec l’âge d’or du makossa, Ben Decca, plus crooner dans l’âme que d’autres, égratigne seulement le sujet sans trop s’y appesantir. Car, Ben Decca, au vu de son énorme production musicale, a plus, une stature de chanteur de variétés[1] que d’homme engagé dans des combats sociopolitiques interpellant au premier-chef la cité.[2] Même si à l’occasion d’évènements sensibles telle que la mise en accusation de Monga, il va se retrouver à être séquestré et molesté pendant 6 heures  avant de pouvoir retrouver la liberté.  Des titres comme « GMI » (Gros Moyen d’Intimidation) et Tribalisme attention Danger et d’autres, découlent en droite ligne de sa volonté de réagir à la violence des pratiques et des idéaux présents dans sa société.  
La fonction universelle que Ben Decca donne au makossa, à son chant, semble-t-il, est d’être un baume au cœur pour toutes les âmes en proie à la détresse humaine, plutôt que d’être une arme de revendication tournée vers un groupe social ou ethnique quel qu’il soit. Cette fonction qui rapproche le makossa de la musique congolo-zaïroise qui est avant tout festive dans son essence, est la même qui l’éloigne d’une certaine forme de musique ivoirienne, où le texte passe au premier plan, au détriment  de l’aspect divertissement des sens.
Kod’a mboa : Si vous avez des enfants, ne manquer pas de leur conter leurs us et coutume/ne manquer pas de leur donner à connaître leur tradition/Si vous avez des enfants apprenez-leur, à travers l’évocation des jours de la semaine, les subtilités de leur langue originelle !

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011
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[1] Encore que là aussi, il faut nuancer son propos. Le chanteur de variétés en Afrique dispose d’un plus large pouvoir d’action. Sa stature d’homme dans la société l’emmène souvent à sortir de ses textes mielleux pour épouser ou défendre les causes ambiantes qui l’interpellent au premier-chef. Ben Decca ne s’est donc pas gêné pour faire des excursions dans les sujets les plus poignants de sa société.
[2] On peut considérer que le tournant important dans la thématique « politique » de Ben Decca intervient à partir du début des années 90. En ces années, les changements politiques imputables en partie aux évènements survenant dans les pays de l’Est ont des échos en Afrique. Le Cameroun dès lors, connaît ses années de braise avec le lancement des « villes mortes » qui déstabilisent l’ordre politique établi. Ben Decca en natif du pays va être contraint à se positionner par rapport à tous ces mouvements.