vendredi 24 février 2012

Charlotte Dipanda ou le retour aux sources




Un album résolument tourné, contrairement au premier, vers ses racines musicales. C'est-à-dire sur les rythmes les plus emblématiques du terroir. Parmi ceux-ci, une formidable excursion musicale dans son village natal. Une livraison d’un  makossa soft, expurgé mais particulièrement visible, grâce à l’exceptionnelle qualité vocale de l’interprète qu’est Charlotte Dipanda. Un travail de qualité classique qui nous fait entrevoir l’inutilité des trop pesantes orchestrations, qui ont le plus souvent tendance à voiler, la qualité des œuvres produites dans la musique camerounaise.
A signaler la présence de mélodies langoureuses qui se laissent savourer. Une livraison d’une douceur exceptionnelle qui vous fait presque oublier, que tout ne tourne pas rond dans notre pays !
Une œuvre à intégrer au sein même de la lignée d’auteurs compositeurs prestigieux tels que Charles Lembe, Etienne Mbappe, Richard Bona. Mais encore, un retour aux sources qui vient corriger l’évidente dispersion musicale de sa première galette, par trop word music. Et pour preuve de ce retour aux fondamentaux de son arrière-cour camerounaise, cette plage thématique aux paroles si définitives qui correspondent certainement à un choix de carrière. Mboa : na bole bola ye bolo, na timba o mboa/ na bole londo na timba o mboa/ mboa to be nde ne we mba o mulema/etc.,  

Album à conseiller à tous les puristes de la geste musicale.

Essombe Mouangue

vendredi 10 février 2012

Douleur (suite et fin) : Douleur le virtuose de la langue Duala




(Douleur aurait tout aussi pu comme la majorité de ces collègues n’avoir qu’à balbutier le duala dans ces créations…)

Mais ceci n’était qu’une digression dans notre narration qui nous permettait d’asseoir le contexte linguistique historique de l’univers musical du makossa et de la musique sawa, de manière générale. Revenons à l’empirisme de Douleur, quant à ce qui concerne ce qui demeure l’idiome le plus usité de la planète musicale sawa qu’est le duala.

En quoi réside la « magie » linguistique de Douleur ?

La magie linguistique de Douleur, par rapport à la langue duala, s’entend, réside dans le fait que cet artiste de variété aurait tout aussi pu se contenter, comme la majorité de ses collègues, de n’avoir qu’à balbutier quelques mots de duala, de manière toute superficielle pour paraître ! Surtout qu’avec l’introduction du français, de l’anglais, et de l’espagnol dans une moindre mesure, langue importées, colonisatrices, devenues prioritaires par la force des choses et de l’histoire, dans l’éducation des enfants africains, il restait très peu de place, le complexe linguistique aidant aussi, à d’autres tournures d’expression : surtout celles venant prioritairement pourtant du terroir !
Mais Douleur, comme par l’effet d’une volonté surhumaine, ou pourquoi pas, d’une vocation, a su se départir de toutes ses tares qui auraient pu faire de lui, rien qu’un artiste vulgaire, baragouinant le duala comme la majorité de ses collègues du métier ! Et cette qualité exceptionnelle d’utilisation de ce parler dans la musique sawa par son biais, s’explique certainement, par l’acquisition quasi automatique des règles de fonctionnement de cette langue auprès de son entourage proche. Elle s’origine aussi et surtout dans la mise en branle politique, d’une exigence personnelle. Celle-ci l’amène à faire du duala, de manière presque exclusive1, cette arme, ce véhicule communicationnel dédié à ces interlocuteurs que sont les mélomanes de tous bords. Mélomanes dont la connaissance de ce langage est constamment mise à rude épreuve, à l’écoute de chacun de ces titres, quel qu’en soit le propos thématique. Et cela, en gardant toujours son style propre qui mêle l’humour à l’amour, l’autodérision aux plus sarcastiques vérités ; en s’appuyant toujours et toujours, sur les nombreux proverbes qui foisonnent cette langue bantoue ! Et par ces continuels assemblages verbaux, il naît une multitude d’images, une multitude de significations qui plongent le mélomane dans un monde où les règles et les modes de vie Sawa, restent vivaces, et même, disons-le, redeviennent possibles ! Le temps d’une chanson ! Le temps d’un moment de magie ! Le temps d’une minute véritablement exceptionnelle, distillée par le maestro Douleur !

Douleur le poète

C’est cette capacité à extirper le mélomane de son quotidien actuel, à l’entraîner dans un voyage historique et même initiatique, qui fait de lui, un griot, un véritable poète de cette langue duala qu’il se charge de revivifier, de redynamiser à chacune de ses prestations vocales. Et la communauté Sawa en la personne de certains dignitaires du Ngondo, ne s’est pas trompée en reconnaissant en lui, l’un de ses plus dignes ambassadeurs dans le monde.
Y-a-t-il des morceaux qui plus que d’autres, peuvent servir de référence à cette magie de Douleur face à son idiome d’origine ? Assurément ! Je vous convie à écouter des pièces musicales telles que Come no go, Abelé 2000, Sawa douala, Deido city my home, Masu ma ponda, We’a matanda, Njom’a nje entre autres, qui ne sont pas loin d’être considérés comme des chefs-d’œuvre d’éloquence et, d’accomplissement vocal !

Les avatars musicaux de Douleur


Cependant, ce qui aurait été étonnant, c’est qu’un artiste de cette trempe, traînant derrière lui un aussi fort bagage culturel et musical, n’ai point suscité d’émulation auprès des jeunes. Ne vous inquiétez pas, il en a provoqué suffisamment ! Il en a bouleversé plus d’un ! Et évidemment cet engouement pour l’œuvre et la technique musicales du précité, s’étale sur plusieurs niveaux et classes d’âge qui correspondent à la longévité de carrière de cet artiste majeur de l’âge d’or de la musique camerounaise. Qui n’a pas connu cette époque des premières sorties musicales de Douleur où nombre de jeunes des lycées et collèges se voulant artistes ou non, s’essayaient à reprendre, à l’expression et au souffle près, ses refrains les plus célèbres !? Qui n’a pas vécu ses prouesses vocales de tous ces jeunes sawa et consorts, qui s’essayaient à rivaliser par exemple, avec le refrain aux paroles sulfureuses de Nkunkele (Na wele nde diwogo, na sen te mo, na wele nde diwogo !) ou encore celui de O soki (na timbi nde linga mbuna mene…).
Mais, cette implication des quasis néophytes exprimée, avec celles des chanteurs de cabaret, un autre palier allait être franchi, avant qu’on en arrive à celles des artistes de makossa ayant des produits sur le marché discographique. Des années d’or, Franck de Blaiso est incontestablement celui dont le timbre vocal se rapproche le plus de la prestation de Douleur. Mais, nous ne voudrions retenir que ce timbre vocal car, la thématique, sans toutefois en être diamétralement opposée, n’a jamais atteint la profondeur de celle de l’artiste qui a dit dans Sawa Douala : « douleur nye nde po !». De même, des jeunes artistes, tels pour exemple Paquito, qui s’en est fait un « imitateur » assez crédible dans le théâtre des cabarets, ne semble malgré tout pas suivre les traces du maître dans ses propres créations. Hugo Nyamè est celui pour l’heure, qui s’en rapproche le plus par son vocal et son humour, bien qu’il lui reste aussi à pouvoir générer des textes aussi agencés et profonds que ceux de Douleur. La densité thématique en espérant qu’elle le sera un jour, n’est pas encore au rendez-vous !

Douleur, un héraut traditionnel du monde sawa

Si nous devons présenter une fiche analytique succincte de Doualla Alexandre, nous dirons que Douleur c’est plus d’une trentaine d’année de musique ! Plus de sept albums ! Plusieurs collaborations avec des artistes du pays et du continent ! Un kora de la chanson africaine, glané en Afrique du Sud ! Et certainement encore, beaucoup de surprises dans ce domaine !
Douleur c’est l’un de talents les plus immenses de la musique sawa !
Et de lui nous dirons encore, qu’il est l’auteur-compositeur engagé, à multiples facettes, qui se pose en héraut d’un monde traditionnel dont les traces et la geste sont de moins en moins visibles ! Mais encore, Douleur c’est aussi l’homme sawa bardé de l’étendue de sa richesse culturelle qui s’inscrit résolument dans la modernité, tout en sachant bien là où il pose les pieds. Et on ne peut en conclure de même pour nous tous, ses frères, ballotés que nous sommes dans cette « modernité » occidentale qui nous dévore la vie, nuit et jour ! Jour et nuit !
Assurément, cet artiste-là n’a aucune crainte à se faire sur son avenir musical et surtout, sur sa stature d’homme dans la société africaine. Cette société africaine qui est prête à l’accueillir à tout moment en vainqueur, lui qui en est parti, sans en être réellement parti ; lui qui en revient avec ses mots prophétiques et ironiques dans la bouche :
(Langwa myango) : Qu’as-tu ramené d’Occident !?/ Engome, elle au moins a ramené des senteurs de parfum et toi qu’as-tu ramené d’Occident ?/ Raconte ! Conte-nous des histoires/ Raconte-nous n’importe quoi afin que la populace puisses écouter/ Les gens sont fatigués/ raconte, raconte ! Ils voudraient en savoir plus/ moi je suis parti/Parti…
Car, le tout n’est pas de partir, il faut pouvoir aussi, en retour, ramener quelque chose dans son escarcelle !



1 Il est vrai qu’il lui arrive de chanter en français, en pid gin, et même en anglais, sans oublier certaines langues du pays. Mais cela reste fait, jusqu’à preuve de contraire, de manière anecdotique.

jeudi 9 février 2012

Epee et Koum à la rencontre du schème musical d’Etienne Mbappe




De bonnes mélodies. De bons makossa. Il n’y a rien à dire : un album agréable ! Une fraîcheur retrouvée grâce certainement à l’immixtion dans la tablette d’un nouveau maître du genre : Etienne Mbappe, dont on ressent la forte influence musicale et vocale dans quelques titres. Ce genre de collaboration est même à conseiller, ou plus fort même, à imposer à tous ces chanteurs de variétés makossa, en perte de vitesse, en manque d’inspiration. Ce serait pour eux, l’occasion de se renouveler, de sortir de leurs tics habituels, de donner enfin à écouter à leurs fans, autre chose que leur soupe habituelle !
En somme, une plaquette makossa tantôt sobre, tantôt enjouée mais toujours loin de l’exagération. Une réalisation qui n’est pas loin de nous ramener à la manne heureuse du makossa de la période d’or des années 80. Et produire ce genre de makossa en ce moment de forte disette, prouve qu’ils ont vraiment du pot, ces deux compatriotes à la même bouille ! Je n’irai pas jusqu’à dire qu’ils ont une veine de cocu, mais je n’en suis quand même pas loin !
Mais, il restera toujours à déplorer la construction populiste d’Epée et Koum, qui continuent toujours à truffer de noms d’illustres inconnus, des œuvres musicales qui n’en ont évidemment pas besoin ! Le respect que l’on se doit à ces œuvres de l’esprit, se devrait les emmener à apprendre à les préserver de ces malencontreuses souillures à but commercial ou non !
Mais, se procurer la tablette reste vivement recommandé à tous les férus du bon makossa !

Essombe Mouangue