samedi 14 mai 2011

BEN DECCA (suite) L’énorme production de slows par Ben Decca


( Il fut un temps où la musique camerounaise florissait de slows tous plus inspirés les uns que les autres. Ben Decca est l’un des plus dignes représentants de ce genre musical !)

On ne peut vouloir présenter aux mélomanes, un artiste tel que Ben Decca, sans parler de son énorme production de slows. On peut même avancer qu’il est avec Ekambi Brillant, Dina Bell, Toto Guillaume, et dans une moindre mesure Guy Lobé, l’un des principaux producteurs  camerounais de ce genre musical. Lui, le compositeur au vocal larmoyant, aux trémolos sans fin, privilégiant comme nous l’avons dit plus un peu plus haut, les thèmes tournant autour du vécu amoureux de ces concitoyens, ne pouvait qu’y trouver un formidable terrain d’expression. Il ne pouvait que s’illustrer dans la pratique de ce slow camerounais dont le point de départ culminant reste pour notre modernité, Onguele mi minya, cet énorme chef-d’œuvre de Vicky Edimo !
Cette voie choisie par Ben Decca, est pour lui l’occasion de produire une œuvre aussi remarquable qu’Eva, vers le milieu des  années 80. C’est un slow collant avec la mythologie chrétienne de la création de l’homme et de la femme. Cette pièce musicale langoureuse, s’est gravée dans la mémoire de maintes générations de camerounais, au point d’en avoir été longtemps plébiscitée pour lancer l’ouverture de bals dansants et autres soirées de mariages.
A la suite du succès d’Eva, suivra plusieurs slow qui assoiront sa renommée d’African lover précurseur du makossa love. Ce makossa love, qui allait être en ces années 80, la nouveauté musicale s’insinuant dans les courants traditionnels du makossa. Citons pour illustration, quelques uns  de ceux-ci, tout en n’oubliant pas de mentionner que la liste fournie ici, n’en est point exhaustive : Na tondi wa, Se oa nu, We mba diye, Dube lam, ndol’a su, O si dimbea, etc., au total, plus d’une vingtaine de titres, commis sous le couvert de cette même veine musicale fortement lyrique et principalement dédiée à la gente féminine.
Eva : (Dieu m’a créé pour toi, mon amour / Toi aussi, tu as été créée pour moi, mon amour / Quel que soit ce qui arriverait, et malgré les nombreuses tentations que je rencontrerais sur mon chemin, je ne t’oublierai jamais/ Parce que toi et moi, nous sommes une seule et même personne etc. !,

La création d’un genre

Et toujours fidèle à sa thématique amoureuse principale, et cherchant certainement les voies et les moyens de porter le mieux son message à son public, Ben Decca va en arriver à la création d’un genre musical encore embryonnaire dans le makossa : celui du duo. Du duo alliant dans la même pièce musicale, précisément et principalement, un homme et une femme ! Que cette expression se fasse par le biais du slow ou du makossa love. On peut même dire, en termes d’explication sur cette tendance adoptée par Ben Decca, d’un besoin certain pour lui, de théâtraliser sa musique, en la faisant porter par l’homme et la femme, qui sont généralement les protagonistes de la trame narrée.
Pourquoi supposer la création d’un genre ? Parce qu’avant lui, c'est-à-dire autour des années 60-70 et début 80, les exemples de duo que nous avons, ne sont pas légions. A part Ebanda Manfred et Villa Vienne, Françoise et Milla, qui ont choisi d’emblée une démarche artistique véritablement liée, indissociable, au point que nous n’avons pratiquement pas de prestation en solo de ces artistes, les artistes camerounais, s’essayant à cet exercice du duo, ne le font pas de manière constante et systématique. L’impact sur le public reste donc assez épisodique et même anecdotique. Nous avons pour exemple le duo Francis Bebey-Rachel Tchoungui avec le titre, Roméo na Julieta ; le regretté Eboa Lotin fait aussi une excursion dans le genre avec le titre Stella na tondi oa…, cependant, l’artiste ayant une action un peu plus significative dans ce sens, lors des années 70-80, de par sa collaboration en amont comme en aval avec une chanteuse, reste Ekambi Brillant. Ekambi Brillant qui fera de Cella Stella, l’une de ces égéries primordiales.

Place à Grâce et à Dora Decca !


Mais Ben decca, en s’introduisant dans le genre, fera mieux. En s’appuyant sur le vivier vocal familial exceptionnellement riche, il va donner son véritable envol et ses lettres de noblesse au duo camerounais, transformant la catégorie, en une généralité maintenant reprise quasiment en chœur,  par moult générations d’artistes camerounais !
La première à essuyer les planches (du succès), dans le milieu des années 80, en plein âge d’or du makossa, sera Grâce Decca, avec laquelle il assoira les règles du genre, avec des titres aussi évocateurs que Na sengi bobé, O si dimbéa, Diboa la ndolo, etc., Leur prestation dans les ondes hertziennes naissantes de la chaîne nationale[1], vers la fin des années 80, ne laissera personne indifférent ! Les mélomanes connaissaient Ben Decca,  le chanteur à succès d’Amour à sens unique, désormais, il n’existera plus seulement, dans l’imaginaire populaire en tant que Ben Decca, mais en tant que le duo Ben et Grâce Decca !
Na sengi bobe : (la femme) Ta famille ne me laisse pas tranquille, tes amis de même. Ils me calomnient dans toute la ville, et ça me fait si mal, si mal, mon amour/ (l’homme) S’ils savaient seulement que chaque matin que je me réveille, ta photo est sous mon oreiller / S’ils savaient seulement que lorsque je prie le Seigneur, ton nom est toujours  sur mes lèvres. / 
Mais notre bonhomme ne s’arrêtera pas à cette première collaboration familiale déjà si fructueuse. Il poussera le bouchon plus loin encore, en intégrant l’autre cadette, Dora Decca à sa démarche. Avec des titres tels que Sesa ndolo, plus récemment Na tondi oa dans l’album Makosssa Phoenix etc.,  Et la silhouette frêle de Dora Decca nous est offerte pratiquement pour la première fois, (en ce qui me concerne) lors d’un concert populaire au sein de la Salle des Fêtes d’Akwa dans les années 90[2] ; là encore, il est donné à Ben l’occasion de livrer, de faire découvrir au public de la ville de Douala, la voix chaude, aérienne et perçante de Dora, avant que celle-ci, suivant l’exemple de sa sœur Grâce, n’entame elle-aussi, une carrière solo, qui court toujours d’ailleurs… comme celles de tous les membres de cette famille originaire de Déïdo, qui a tant donné à l’histoire musicale du makossa.[3]
Sesa Ndolo : Je ne savais pas que ton départ allait me causer tant douleur, femme/ Je suis fatigué de pleurer/ De toutes mes larmes/ La douleur d’aimer me taraude/ Je ne parviens plus à la supporter/ Elle m’est insupportable/ J’ai pourtant essayé d’aller voir ailleurs, peine perdue / Tu es la seule nécessité qui habite mon cœur/

Tom Yom’s, héraut du duo Camerounais !


Maintenant que le mouvement était lancé par Ben et sa famille, le duo camerounais à caractère mixte, pouvait dès lors à partir des années 90-2000 prendre son essor. Et ce, avec des interprètes aussi doués que prestigieux. Les associations, le temps d’un titre, d’un slow, d’un album, sont nombreuses. Citons, Joly Priso-Nicole Mara, Sergeo Polo-Charlotte Dipanda, Ekambi Brillant-Dinaly, Mama Nguéa-Joly Priso, Mama Nguéa-Papillon, Henri Njoh et quelques autres chanteuses et choristes de la scène musicale camerounaise, etc.,
Mais de tous ces artistes qui ont pris fait et cause pour le duo dans leurs albums, le regretté Tom Yom’s, demeure celui qui aura porté le plus haut le genre tout en lui donnant aussi une nouvelle tournure : en allant s’attaquer au vaste chantier intemporel des chefs-d’œuvre de la musique !  Il aura été le plus grand, tant par la qualité des interprètes associés, que par la volonté d’honorer au plus haut point, les chefs-d’œuvre de la musique camerounaise ainsi revisités par ces soins ! On se souviendra pêle-mêle de certains de ces faits d’arme : Tom Yom’s-Charlotte Mbango, Toms Yom’s-Beko Sadey, Tom Yom’s-Dinaly, Tom Yom’s-Anny Anzouer, Tom Yoms-Bebey Manga, etc., Une panoplie exceptionnelle qui fait de lui,  le héraut et le défenseur incontournable de ce genre où l’artiste féminine, sortant du rôle ingrat de choriste que lui imposait généralement le mâle dans l’histoire du makossa, copartage enfin la scène, avec son partenaire de l’autre sexe. On regrettera quand même toujours, que les albums où interviennent en guest star ces voix féminines, leurs auteurs masculins, n’ont pas souvent l’élégance de mentionner nommément, le nom de ces dames ! C’est état de fait est impardonnable à la limite ! Comme quoi, la reconnaissance des droits de ces femmes sur ces œuvres, reste toujours problématique. Chose à laquelle, les sociétés de droits d’auteur, devrait s’atteler à remédier le plus tôt possible !


Ben Decca se confronte à Moni Bilè !


Mais attendez ! Ne soyez point impatient ! C’est pas fini ! Nous n’en avons pas terminé avec Ben Decca ! Là ne s’arrête pas son rôle de précurseur dans le makossa ! Si Ben Decca a influé sur le duo à caractère mixte, il l’aura aussi fait pour celui où l’on retrouve exclusivement deux hommes, deux vedettes camerounaises se partageant le même micro, le temps d’un album ou d’une pièce musicale !
En effet, bien avant le duo Tim and Foty qui fonctionne plus en band qu’en artistes distincts de l’un et de l’autre, du moins au cours de l’âge d’or du makossa, Ben Decca, en s’associant dans un super 45 tours géant avec Moni Bilè[4], aura été parmi les premiers, sinon le premier à s’aventurer dans ce no man’s land de la collaboration artistique avec des interprètes du milieu makossa !
Alors que la musique congolaise est commune du fait depuis belle lurette, Ben Decca avec Na si lingui commis en plein âge d’or de la musique camerounaise, aura ainsi aussi, tout comme pour l’introduction des femmes dans le duo, essuyer les plâtres de ce domaine dans lequel, allait aussi s’engouffrer la jeune génération actuelle de musiciens camerounais. Là encore, le regretté Tom Yom’s tire son épingle du jeu en ayant donné la réplique, à des pointures masculines non moindres du makossa : Ekambi Brillant, Henri Njoh, etc.,

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011
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