jeudi 30 juin 2011

Moni Bilè, l’autre artiste du makossa



(Voilà encore un artiste dont la renommée internationale est indissociable des années d’or du makossa camerounais. Par sa touche personnelle, Moni Bilè en aura enrichi et élargi, la palette.)

Le chanteur à la coupe de chevelure en forme de plateau et aux déhanchements makossa aussi suggestifs sur scène, en moins accompli quand même, que ceux du regretté Michael Jackson décoloré des années 2000, a connu ses heures de gloire. Embarqué dès les années 80, dans le même paquebot de luxe que ses collègues de l'âge d'or du makossa, après ses années africaines de traversée du désert, il a largement touché à sa part du gâteau. Il a contribué au rayonnement de l'édifice Makossa. Et par là, à la mise en mouvement festif de la rue camerounaise. Cet espace libre et magique où tout restait encore possible à l’époque, pour la jeunesse. C’est en cela, qu’il convient d’établir la qualité de l’apport de Moni Bilè à ce rythme africain, qui a établit sa notoriété nationale et internationale.

Moni Bilè et la production d’un makossa dansant

La première caractéristique que l’on puisse retenir de Moni Bilè, c’est d’avoir émargé parmi les créateurs d’un makossa dansant. Son style présentait cependant quelques nuances par exemple, par rapport à celui d’auteurs compositeurs tels que Dina Bell, Ben Decca etc., Ceux-ci, plus lyriques, mais surtout, plus rigoureux avec les fondamentaux du makossa. En effet, plutôt que de s’en tenir aux textes de ses chansons, qui n’étaient d’ailleurs pas mauvais, mais moins introvertis ou personnels que ceux d’un Dina Bell ou d’un Toto Guillaume, Moni Bilè a semble-t-il, privilégié le langage des instruments, à celui de son vocal.
A la réflexion, on ne lui reprochera pas  cette tendance. Elle ne faisait que souligner, si nécessité  était, de la modestie de sa technique de chant. Celle-ci est loin d’être aussi irréprochable que celle d’un Dina  Bell, Douleur, Jean Claude Mbimbé, Ndedi Dibango ou encore, d’un Jr Nelson.
Il faut dire que l’époque des années 80, se prêtait merveilleusement à la mise en branle de ce makossa dansant, lorsqu’il n’était pas simplement tonitruant, mais toujours inspiré. Sous le fait d’une certaine stabilité sociale et économique, constaté au Cameroun, dans ces années 80, les jeunes de la ville prenaient encore leurs aises dans les bals publics qu'ils organisaient un peu partout dans les quartiers. De jour tout comme de nuit. L'occasion faisant l'affaire ou le larron, on les retrouvait à faire la fête à l’occasion de cérémonies de baptêmes, communions, confirmations ; les réunions et autres associations et Bands de jeunes ; de remises de diplômes, de fêtes traditionnelles etc., Attitude festive autant partagée par leurs aînés qui étaient des fidèles, des accrocs des bars, circuits, night-clubs, et snacks.
Ce qui nous amène à constater que c’était aussi l’âge d’or des lieux de plaisir, ouverts tard dans la nuit à Douala. On ne manquait jamais de remarquer que ces nombreux lieux de décompression des foules, ne désemplissaient pratiquement pas !
Et afin d’entretenir cette effervescence venant de populations qui se voulaient intensément, « manger la vie », sous le soleil et les nuits chaudes de cette partie du pays, il fallait donc qu’en face,  les opérateurs économiques chargés de leur donner la réplique, de les faire tenir en haleine dans la rue, soient à même de répondre à leurs multiples sollicitations !
Les brasseurs de bières et d’autres spiritueux, avec des chiffres d’affaires faramineux, malgré le faible pouvoir d’achat des citoyens, tiraient aussi et surtout leur épingle du jeu. Il en était de même pour les restaurants, les circuits, les tournedos et autres pourvoyeurs des plaisirs de la bonne chair.
L’offre musicale générale, avec des chanteurs comme Moni Bilè, et d’autres, nés de la mouvance des années d’or du makossa, dont l’originalité des propositions était capable de vous faire tenir toute la nuit dehors, ne pouvait que trouver là, un terreau favorable à son épanouissement. C’est depuis cette époque dorée des années 80 que la ville de Douala a été qualifiée de « ville qui ne dort jamais ».
C’est autour de ce contexte euphorique qu’apparaît Bijou, cette pièce musicale fortement syncopée. Le vocal de Moni Bilè y survole de part et d’autres, des chœurs et des instruments à vent parfaitement synchrones. Il n’y a rien à en redire !  En ces années 80, la griffe Moni Bilè venait de s’installer dans le monde du showbiz camerounais !
 Bijou : Nous nous sommes tellement aimés avant ton mariage/ Nous avons pris tant de plaisir avant la survenue de ton nouvel amour/ Pourquoi me cherches-tu maintenant ? Que me veux-tu ?/Tu me cherches des problèmes/ Des ennuis/ Tu as de l’argent/ Vous êtes riches/ Moi, je ne suis qu’un pauvre type/ un pauvre débrouillard !Je n’ai rien pour l’égaler/ Il t’a construit une maison/ il t’a acheté une Mercedes/ Et moi, qu’ai-je jamais pu t’offrir ?/ Tu veux me causer des problèmes/ Des ennuis/

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011

Consulter : musiquescamerounaises.blogspot.com
essombemouangue.blogspot.com
marevuedepressec.blogspot.com
Pour tout travaux de presse book, de portrait d’artiste, de représentation d’artiste, etc., Contactez Essombe Mouangue à ce numéro de tel : 33 02 21 82- Douala Cameroun


vendredi 24 juin 2011

BEN DECCA (suite) : Ben Decca et la polémique




(Il fut un temps où Ben Decca faillit dire pour de bon, adieu à son cher public ! Il fut un temps où son public, de dépit, faillit lui tourner le dos à jamais !)


Le monde du show-biz est un espace pernicieux qui ouvre à toutes les réussites tout comme aussi à tous les bides. Dans le cas où pour l’artiste, le succès plutôt que l’échec serait au rendez-vous, celui-ci, en raison de toutes les sollicitations dont il peut-être l’objet, tant de la part des médias, de son public, que de son environnement immédiat, il peut lui arriver de disjoncter. Il peut tout simplement lui prendre d’avoir la grosse tête, pour employer un terme consacré dans le milieu ! Grosse tête qui peut se concrétiser par des comportements allant de l’agressivité la plus odieuse, la prétention la plus déplacée, à l’extravagance la plus criarde !
Mais pour autant, doit-on parler, en ce qui concerne le cas Ben Decca, de prise de grosse tête, lorsqu’au milieu des années 80 dans le titre Ebogwa Loko, il décide de mettre fin à sa carrière musicale, alors que le bonhomme est au faîte de sa communion avec le public ?
Ebogwa Loko : Il n’est plus loin pour moi le temps de dire adieu au monde de la musique/ cette fonction d’enchanteur des cœurs est trop lourde, trop  difficile à porter, il est temps pour moi de sortir du monde de la musique/ Ne m’appelez plus, ne m’appelez plus…

L’indignation de Ben Decca face au statut ingrat de l’artiste camerounais !


S’agissait-il d’une manifestation de lassitude, due à l’énorme stress induit par cette activité musicale assez harassante, il est vrai, malgré les honneurs qu’elle est sensée procurer ? Ou bien s’agissait-il pour lui de susciter, de provoquer en annonçant son départ de la scène musicale, un sursaut d’intérêt de la part des mélomanes !? Ce qui correspondrait à un coup médiatique dont usent souvent les grosses pointures du show-biz international… !?
Ou encore devrions-nous évoquer à sa suite, comme il l’avoue lui-même dans une interview, sa dénonciation précoce du statut ingrat de l’artiste camerounais, en proie à des pouvoirs publics si peu soucieux de leur devenir. Au point de laisser proliférer cette piraterie naissante en ces années 80. Cette piraterie d’œuvres, en principe protégées par les conventions du copyright, dont les multiples ramifications étranglent jusqu’en ces années 2011, de manière presque irrémédiable, les perpectives financières du milieu de la musique camerounaise, toutes tendances confondues ! Et nous ne sommes pas prêts de  voir le bout du tunnel de cette affaire, de cette forfaiture qui est en train de « tuer » littéralement, nombre de talents de la musique camerounaise, restés au pays, tandis que les autres vivotent douloureusement dans les villes occidentales !

La difficulté à se départir du fardeau « héréditaire » familial


A évoquer aussi comme raison à ce cinglant Ebogwa loko, la difficulté qu’avait Ben Decca à concilier ce métier de l’automobile, qui est le sien, que nous qualifierons presque d’héritage « héréditaire » familial, avec le monde de l’art musical. Vu qu’une bonne partie des membres de sa famille se sont plus dirigés de fait, vers des carrières ayant tout à voir avec ces tâches faisant la part belle aux techniques de l’automobile, qu’à des professions artistiques ou littéraires. Un cercle familial donc en principe, plus tourné vers le concret des choses de la vie, que l’évanescence et l’incertitude du monde artistique ; jusqu’à ce que Ben Decca n’en vienne inverser la tendance, en entraînant dans son sillage ses deux sœurs, et le benjamin qui suivra lui aussi le rythme, beaucoup plus tard.
Mais avant d’en arriver à la mise en branle de ce raz-de-marée que nous qualifierons d’artistique, Ben Decca est d’abord seul face à son audace. Il est d’abord seul face à ce destin qu’il doit se choisir autre ou quasi pareil à celui de son père. Il est celui qui doit avoir le courage ou la folie d’être quelqu’un d’autre, que ce que son groupement social, a l’habitude de voir autour de lui ; il est celui qui doit se penser autre que ce que ces pairs sont en droit d’attendre de lui. 
Seul face au regard impitoyable de la société !

Face au regard de la société, La responsabilité de l’homme est donc lourde, même si ses premiers succès musicaux ont contribué à lui insuffler de l’assurance ; même s’il n’encourre plus de risque d’interdit venant d’un père rigoureux, sans être du tout malveillant, assez surpris au départ de l’orientation prise par son fils. Le seul obstacle à la prise en compte de cette carrière musicale qui s’annonce si prometteuse, étonnamment, devient donc lui-même ! Pourquoi !? Parce que de manière plus inconsciente que consciente, Ben Decca n’a certainement pas encore fait le deuil de ce destin familial qui lui était promis. Parce que de lui-même, il ne s’était pas encore résolu à n’être que ce chanteur de makossa, qui s’est engouffré dans cette carrière comme un jeu, sans trop forcer sur son talent, étant admirablement entouré par des aînés qui vont lui faciliter énormément les choses[1].
Peut-être qu’il lui arrive même encore de douter de l’importance de cette carrière musicale ! Et il y a de quoi ! Au sein de  la société camerounaise assez conservatrice, par tradition, on continue  à considérer les artistes et pas que les musiciens,  comme des ratés, des voyous, des farceurs, des troubadours sans grand intérêt, vite oubliés leurs messages livrés ! Et comme les émoluments à attendre légitimement de ce métier ne suivent généralement pas comme il le faut, (ce qui vient pour confirmer l’inutilité d’un tel choix), il faut être doté d’une sacrée dose de courage pour oser en faire un métier à la face du monde ! Et quand on se sait  pouvoir être capable de faire autre chose qu’à « jouer à l’artiste », le choix est vite fait pour d’autres.

BEN DECCA (À SUIVRE) 

©Essombe Mouangue 2011

Consulter : musiquescamerounaises.blogspot.com
essombemouangue.blogspot.com
marevuedepressec.blogspot.com
Pour tout travaux de presse book, de portrait d’artiste, de représentation d’artiste, etc., Contactez Essombe Mouangue à ce numéro de tel : 33 02 21 82- Douala Cameroun




BEN DECCA (suite et fin) : le choix final de Ben Decca


(Il aura été de tous les combats, de toutes les réussites du makossa. Sa longévité atteste, si besoin était, de la permanence du makossa dans le paysage musical camerounais.)

Ben est certainement l’un des artistes camerounais qui s’est interrogé de manière inconsciente sur le bien-fondé de la route qu’il était en train d’emprunter. Il en a fait un tel un sujet de cogitation qu’il n’a pas résisté à l’envie de porter ce débat, qui aurait dû rester intérieur, sur la place publique. Le titre Ebogwa loko,  n’est donc que la personnification de ce débat intérieur.
Signalons aussi que si beaucoup d’artistes camerounais et africains, avant lui et après lui, se sont interrogés en privé, sur l’opportunité de faire de la musique un métier[2]. Ben Decca, est l’un des rares à avoir franchi le pas dans un texte chanté. Il a fait de cette interrogation assez légitime pour tout artiste, vu le contexte social assez défavorable à leur érection, un sujet de discussion qui lui aura en définitive, porté préjudice, du moins, jusqu’à un certain moment de sa longue carrière[3].

 Se réveiller un jour, en s’assumant  artiste compositeur contre vents et marées !

Mais voilà ! Le tout n’est pas de porter simplement, gaillardement l’interrogation sur la place publique ! De se demander de quoi seront fait ses lendemains ! De surfer indéfiniment entre deux barreaux de chaise ! La gageure est de pouvoir prendre une décision tranchée et claire par rapport aux choix à implémenter  à ces lendemains !
Et maintenant que Ben avait osé crevé l’abcès en se posant les questions qu’ils fallaient sur son avenir, plus rien ne l’empêchait en quelque sorte de sauter le pas et d’affirmer sa différence au sein de cette histoire familiale si présente, sans toutefois être intransigeante. Les moments de vague à l’âme et d’incertitude passés, Ben Decca allait tout simplement décider de rester dans la musique. Que disons-nous, d’habiter cette musique, d’être l’un des hérauts les plus charismatiques de ce makossa qui était devenu au fil de sa pratique,  une raison de vivre pour lui ! S’il était venu dans la région parisienne, au début des années 80, quelque peu dans ce milieu avec légèreté et facilité, il allait maintenant trouver des raisons pour n’en plus sortir, parce qu’il venait de s’y découvrir un destin, un accomplissement, une plénitude.  En quelque sorte, il entamait une nouvelle vie qui reléguait au second plan, l’historique professionnel familial !
Et cet artiste est grand, non seulement par la qualité de son œuvre mais aussi par cette voie autre qu’il s’est frayé de lui-même dans la vie : il s’est donné la stature d’un  adulte, d’un homme implacable, indéboulonnable sur ses convictions, au sein de cette société africaine si conservatrice et jalouse de ces acquis primitifs !
Et lorsque Ben Decca sort le titre Réconciliation  quelques temps après Ebogwa loko, avant même de se rabibocher avec son public, il avait déjà fait la paix avec lui-même ; avec sa personne en proie à des contradictions existentielles qui ont failli faire de lui pendant longtemps, un être indécis !
Réconciliation : Ben Decca, viens-nous donner du plaisir, viens-nous donner du plaisir/ entre les mains de qui tu nous livres !?/ Ben Decca, viens-nous donner du plaisir/ Si c’est moi qui vous ai causé du tord/ je vous prie de me pardonner/ voici vos makossa, venez les danser/ Réconciliation, réconciliation, réconciliation…/

Le Deïdo-boy aux 19 albums !

Il est des artistes tels Ben Decca dont le parcours inspire le respect avant qu’on en vienne seulement à analyser la qualité de l’œuvre produite ! Parce qu’ils ont été de tous les combats, de toutes les réussites, de tous les échecs ! Dans l’histoire tumultueuse du makossa, ils sont comme des livres ouverts où sont  nomenclaturés, les évènements et les faits les plus importants de leur discipline musicale. Ils sont comme des témoins qui portent sur leur épiderme, les stigmates de tous les faits d’arme vécus de manière volontaire ou involontaire ! Plus de 30 ans après, ils sont des hérauts sur lesquels les générations futures qui subodorent la densité de leur cheminement dans le temps, s’appuient pour maintenir vivace l’histoire du makossa national. Ce rythme musical qui a épuisé plus d’un, pour des raisons que nous n’évoquerons pas encore ici.
Et si l’on n’en venait qu’à considérer la qualité de  production de ce deido-boy au 19 albums, on serait tout autant stupéfait par la capacité de l’homme à s’inscrire avec succès dans toutes les figures de style du makossa ! Il aura eu autant de réussite avec le makossa love qu’avec le slow proprement dit. Il aura autant fait danser les couples que rêver les minettes d’amour, avec ses slows langoureux, pour ne pas intégrer dans le nombre, les hommes aussi ! Et ne parlons surtout pas de lui au passé, lui qui continue à produire des albums et à faire danser autour de lui !
Digérées les années de doute, Ben Decca c’est une place au firmament de la mémoire collective musicale camerounaise. C’est la preuve d’une santé de la musique camerounaise qui se charge de traverser le temps, bon an, mal an,  malgré les multiples et désinvoltes développements du milieu musical camerounais et africain.  C’est donc dans le caractère permanent de sa musique et le dévouement indéfectible à ses fans que Ben Decca s’inscrit dans le futur, avec pour but, d’enchanter toujours nos cœurs en mal de sons et mots se calquant sur nos attentes. Et il n’y a pas meilleur titre que Mbito ba kamerun  pour illustrer l’engagement total du deïdo-boy à sa mission d’enchanteur des cœurs et à son public féminin. Ce dernier en retour, a apporté et apportera toujours une énorme contribution au succès et à la visibilité de l’artiste.
Mbito ba kamerun : Femmes, C’est pour vous que je chantes jour après jour/ C’est pour vous que je prie le seigneur jour après jour/ ô femmes, je suis comblé, car c’est pour vous que je chante, c’est pour vous que je prie, mais, où êtes-vous femmes ?/ Que quiconque d’entre-vous a une aimée lui confie de suite sa flamme ! Que quiconque d’entre-vous traîne une douleur d’aimer lui (à elle) confie de suite son amour/

©Essombe Mouangue 2011

Consulter : musiquescamerounaises.blogspot.com
essombemouangue.blogspot.com
marevuedepressec.blogspot.com
Pour tout travaux de presse book, de portrait d’artiste, de représentation d’artiste, etc., Contactez Essombe Mouangue à ce numéro de tel : 33 02 21 82- Douala Cameroun



[1] Citons son premier producteur et arrangeur Joe Mboulè, et les membres les plus influents de l’équipe nationale du makossa.
[2] Le regretté Eboa Lotin dans l’un de ses titres, adressé à Mme Germaine Ahidjo, se plaignait plutôt, de la misère financière de l’artiste qu’il était, sans toutefois remettre en cause le choix qu’il avait fait d’être un troubadour !
[3] Il est difficile d’avoir une opinion tranchée sur le sujet, toujours est-il que de manière concrète, la réaction du public n’a pas été des plus favorables au contenu du titre « Ebogwa loko » On peut même dire qu’il a été plutôt vexé par ce titre. C’est ainsi que l’on a noté sur le terrain, pendant un bon moment,  une forme de désaffection du public par rapport aux créations musicales de Ben Decca. Une forme de « séparation de corps » infligée à Ben Decca par le public, qui n’a pas du tout apprécié sa démarche, ne l’ayant certainement pas comprise du tout !

jeudi 23 juin 2011

Ben Decca, le crooner forever


(Ben Decca, tout comme Dina Bell, Jacky Ndoumbè, Guy Lobè etc., fait partie de ces chanteurs de makossa qui ont su s’attirer les faveurs du public féminin par la proximité de leurs messages.)


Le makossa se distingue par une diversité de styles due à la coloration musicale spécifique de ces principaux interprètes. Chacun de ces artistes y trouve évidemment matière à satisfaction. Et dans cette profusion de voies ouvertes pour accrocher les faveurs des mélomanes, il est une voie enchanteresse par excellence : celle des crooners ; celle des chanteurs de charme, sensés toucher par la qualité de leur vocal et de leur thématique, la fibre la plus sensible des cœurs. C’est la voie empruntée par ces artistes qui développent une très grande complicité avec la gente féminine, lorsque ce public n’est pas simplement mixte. Ben Decca, le crooner de ces dames,  tout comme Dina Bell ou encore Jacky Ndoumbè, fait partie de ceux-ci. Ben Decca qui est présent au devant de la scène musicale camerounaise, comme tous les ténors du makossa, depuis plus d’une trentaine d’années.
Amour à sens unique. (Un penchant amoureux non partagé est toujours douloureux)/Où est donc l’amour que tu m’avais promis, qui ? moi !? Jamais ! / Tu m’avais pourtant affirmé que toi et moi c’est pour la vie/ Si notre amour n’était qu’une distraction passagère dis-le-moi, mon homme/


La thématique abordée par Ben Decca

La foisonnante discographie de Ben Decca, se caractérise par une attention toute particulière portée aux relations souvent tumultueuses entre les hommes et les femmes. Ce qui l’amène tout naturellement à défendre le sexe dit faible, dans une société camerounaise où les hommes se taillent largement la part du lion.
Il aborde aussi quelques thèmes portant sur la défense du patrimoine Sawa et du makossa face aux autres styles musicaux de la république.
Il se fait aussi remarquer par son énorme production de slows. Il se distingue tout autant par sa collaboration artistique avec quelques-uns de ses confrères du pays.  Nous n’oublierons pas d’aborder la polémique ou le malentendu, qui a installé pendant quelques temps, un froid entre Ben Decca et ses nombreux fans.
Alanè Mba. (Si tu ne peux plus être avec moi, cela me fera beaucoup de mal/ Ils ont prétendu que je suis un débauché de l’amour, Ils ont fait de moi un papillon de l’amour, mais il ne faut pas les croire, car je t’aime, si tu n’es pas avec moi, je suis bien malheureux/ Je vais d’un coin à l’autre pour simplement te retrouver, nuit et jour, tout simplement parce que je t’aime.) 

Ben Decca, le « défenseur des femmes »


Ben Decca apparaît dans le paysage musical camerounais au début des années 80,  dans un maxi 45 tours intitulé Maloko ma kwang. Les mélomanes découvrent un chanteur à la voix fine, très fine même, lorsqu’elle ne paraît pas plaintive, larmoyante même ; on l’a dirait même féminine.  Une technique vocale chaude, passionnée, dévoreuse de mots et aux longues envolées lyriques non habituelles sur le terrain, alors que se met en place entre guillemets, l’équipe nationale du makossa, dont la principale figure de proue est Toto Guillaume.
On s’aperçoit aussi que sur le plan de la thématique, les préoccupations abordées dans ce maxi 45, sont et préfigurent déjà, celles qui vont être développées et revisiter à loisirs par Ben Decca au cours de sa longue carrière, qui est d’ailleurs loin d’être achevée.
Maloko ma kwang  : Lorsqu’il m’arrive de me remémorer nos jeux traditionnels, ma chérie en Kaba, moi-même en Sandja, ah ! ma chère famille, je souviens tellement de nos jeux d’antan !
Les relations entre hommes et femmes, ou plutôt la difficile cohabitation entre l’homme et la femme va être examinée et réexaminée tout au long de la quinzaine d’albums commis par l’auteur-interprète. Et dans ces empoignades relationnelles où les hommes tirent souvent avec plus de facilité et d’évidence leur épingle du jeu, Ben Decca choisit de prêter sa voix  aux femmes victimes de ces agissements délétères des hommes. La femme chez Ben Decca n’a donc presque jamais le beau rôle dans le couple. Elle est le plus souvent la proie de la roublardise du mâle trop occupé à assouvir ses propres besoins, qu’à satisfaire les attentes légitimes de sa partenaire.
Quoi qu’on puisse vouloir penser de ce parti pris de Ben Decca quant à la probité de la personne féminine dans la société camerounaise, il devenait donc tout à fait normal qu’il en tire des dividendes sur le terrain. C’est-à-dire que l’on reconnaisse en lui le chanteur masculin, défendant contre vents et marées, l’intégrité physique et morale de la gente féminine. En effet, contrairement à Toto Guillaume, qui l’a en quelque sorte précédé dans la problématique, mais dont la sphère de « contestation » sur la femme, se circonscrit avant tout à la bulle familiale, avec sa mère au centre de celle-ci, et à ses tribulations amoureuses, Ben Decca traite de ces problèmes de manière plus générale et externe à son vécu personnel, semble-t-il.  Et, bien plus que d’autres artistes du makossa contemporain, qui ont voulu lui emboîter le pas en s’autoproclamant « avocat défenseur » des femmes, etc., sans qu’on puisse pouvoir attacher à ces affirmations une démarche véritablement cohérente, Ben Decca reste l’un des seuls chanteurs de makossa à qui l’on puisse attribuer à juste titre ce qualificatif.
  Yetena oa (Je souffre tellement d’être chez toi, mon homme/ La misère me tue chez toi, sans que tu ne t’en émeuves, mon homme/ et pourquoi lorsqu’il nous arrive d’avoir des différents, pourquoi faut-il que tu balances mes affaires hors de notre domicile /Je suis fatiguée, si déçue, laisse-moi partir, mon homme / si j’avais su, je n’aurai pas élu domicile chez toi, car ton but était de faire de moi une poule pondeuse / Laisse-moi retourner chez mes parents, mon homme.)
(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011

Consulter : musiquescamerounaises.blogspot.com
essombemouangue.blogspot.com
marevuedepressec.blogspot.com
Pour tout travaux de presse book, de portrait d’artiste, de représentation d’artiste, etc., Contactez Essombe Mouangue à ce numéro de tel : 33 02 21 82- Douala Cameroun


BEN DECCA (suite) La Défense du makossa (Makossa me nde ndolè)


(Il est aussi arrivé à Ben Decca de s’interroger sur la perte de leadership du makossa sur les ondes nationales, tout comme d’autres artistes majeurs de l’âge d’or de ce rythme camerounais)
 
Comme la majorité des artistes du milieu makossa qui au cours des années 80, a pratiquement régné sans partage sur l’oreille des mélomanes camerounais, Ben Decca s’est interrogé sur la perte de leadership du makossa, survenue sur les ondes nationales à partir des années 90. Une perte d’audience qui a été attribuée, moins à une baisse de qualité des albums makossa produits, qu’à une volonté politique manifeste des patrons des médias nationaux de l’époque de privilégier le Bikutsi, un genre musical non pas naissant, mais dont les différentes créations et artistes, cantonnés en majorité dans le Centre, le Sud et l’Est du pays, peinaient à se démarquer de leurs ornières provinciales. Le but avoué de cette offensive « musicale » à outrance étant d’en arriver à asseoir au Bikutsi, une audience nationale ouvrant forcément la voie à la reconnaissance internationale. En un mot, on était plongé en plein dans une guerre larvée des rythmes du terroir qui ne disait pas son nom.
Cette situation « cathodique » quelque peu faussée sur l’échiquier national, était donc l’occasion pour Ben Decca tout comme pour Nkotty François et d’autres artistes de la galaxie makossa, de s’insurger contre ce penchant. Pour ces artistes pris au dépourvu, ce parti pris, principalement de la chaîne télévisuelle nationale qui était d’ailleurs à l’époque, la seule chaine de télévision sur le terrain,  porte une grande part de responsabilité dans la baisse de visibilité dont a été victime le makossa, au cours des décennies 90 et 2000… sans pour autant que l’on aille négliger d’autres facteurs inhérents aux insuffisances artistiques de ces hommes du makossa, que nous aborderons ailleurs qu’ici.
Dans Makossa phœnix, Ben Decca, va jusqu’à faire l’évocation outrée des pairs fondateurs de ce rythme qui a fait danser des générations de mélomanes ! Il en assoit aussi son caractère immortel en le comparant au phœnix qui renaît inlassablement de ses cendres. Il en profite pour lancer son fameux « makossa me nde ndolè », métaphore qui semble être taillée sur mesure sur ce plat camerounais et sawa devenu aussi célèbre au pays, qu’à l’extérieur des frontières du pays. Par cet engagement à ce combat assez délicat, Ben Decca est l’un des porte-étendards non seulement des plus prolixes, mais aussi des plus virulents quant à la défense de ce patrimoine du terroir qu’est le makossa.
Makossa Phoenix (Défense du Makossa: Nelle Eyoum, Nkotto Bass, dites à Epée Mbende, et Eboa Lottin que j’ai été confronté au mal/ A la forfaiture/ Aké Loba, Kotto Bass, dites à Jean Paul Mondo et à Eboa Lottin que j’ai été confronté à la forfaiture / ils ont oublié que ce rythme que nos ancêtres nous ont légué est (phœnix) immortel/ qu’il ne prendra jamais fin/ Ils ont voulu l’enterrer tout dégoulinant de sève/ Ils ont oublié que le makossa dégoulinait de sève/ le makossa ne finira jamais, moi je vous l’affirme/ Ecrivez, dites tout ce que vous voulez, mais moi je vous dis que le makossa est comme le Ndolè, ne l’oublier jamais !/il est comme le Ndolè, ne l’oublier jamais !
  

La défense du patrimoine Sawa

A l’instar de Douleur et d’Eboa Lotin qui explore largement dans leurs créations musicales, les tares et déboires de l’univers Sawa, Ben Decca y fait aussi des excursions. Mais contrairement aux deux premiers cités, on peut considérer que Ben Decca qui est natif de Deïdo, n’en fait pas sa tasse de thé principale. Dans la première partie de ses créations, qui coïncident avec l’âge d’or du makossa, Ben Decca, plus crooner dans l’âme que d’autres, égratigne seulement le sujet sans trop s’y appesantir. Car, Ben Decca, au vu de son énorme production musicale, a plus, une stature de chanteur de variétés[1] que d’homme engagé dans des combats sociopolitiques interpellant au premier-chef la cité.[2] Même si à l’occasion d’évènements sensibles telle que la mise en accusation de Monga, il va se retrouver à être séquestré et molesté pendant 6 heures  avant de pouvoir retrouver la liberté.  Des titres comme « GMI » (Gros Moyen d’Intimidation) et Tribalisme attention Danger et d’autres, découlent en droite ligne de sa volonté de réagir à la violence des pratiques et des idéaux présents dans sa société.  
La fonction universelle que Ben Decca donne au makossa, à son chant, semble-t-il, est d’être un baume au cœur pour toutes les âmes en proie à la détresse humaine, plutôt que d’être une arme de revendication tournée vers un groupe social ou ethnique quel qu’il soit. Cette fonction qui rapproche le makossa de la musique congolo-zaïroise qui est avant tout festive dans son essence, est la même qui l’éloigne d’une certaine forme de musique ivoirienne, où le texte passe au premier plan, au détriment  de l’aspect divertissement des sens.
Kod’a mboa : Si vous avez des enfants, ne manquer pas de leur conter leurs us et coutume/ne manquer pas de leur donner à connaître leur tradition/Si vous avez des enfants apprenez-leur, à travers l’évocation des jours de la semaine, les subtilités de leur langue originelle !

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011

Consulter : musiquescamerounaises.blogspot.com
essombemouangue.blogspot.com
marevuedepressec.blogspot.com
Pour tout travaux de presse book, de portrait d’artiste, de représentation d’artiste, etc., Contactez Essombe Mouangue à ce numéro de tel : 33 02 21 82- Douala Cameroun




[1] Encore que là aussi, il faut nuancer son propos. Le chanteur de variétés en Afrique dispose d’un plus large pouvoir d’action. Sa stature d’homme dans la société l’emmène souvent à sortir de ses textes mielleux pour épouser ou défendre les causes ambiantes qui l’interpellent au premier chef. Ben Decca ne s’est donc pas gêné pour faire des excursions dans les sujets les plus poignants de sa société.
[2] On peut considérer que le tournant important dans la thématique « politique » de Ben Decca intervient à partir du début des années 90. En ces années, les changements politiques imputables en partie aux évènements survenant dans les pays de l’Est ont des échos en Afrique. Le Cameroun dès lors, connaît ses années de braise avec le lancement des « villes mortes » qui déstabilisent l’ordre politique établi. Ben Decca en natif du pays va être contraint à se positionner par rapport à tous ces mouvements. 

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2011

Consulter : musiquescamerounaises.blogspot.com
essombemouangue.blogspot.com
marevuedepressec.blogspot.com
Pour tout travaux de presse book, de portrait d’artiste, de représentation d’artiste, etc., Contactez Essombe Mouangue à ce numéro de tel : 33 02 21 82- Douala Cameroun



BEN DECCA (suite) L’énorme production de slows par Ben Decca


( Il fut un temps où la musique camerounaise florissait de slows tous plus inspirés les uns que les autres. Ben Decca est l’un des plus dignes représentants de ce genre musical !)


On ne peut vouloir présenter aux mélomanes, un artiste tel que Ben Decca, sans parler de son énorme production de slows. On peut même avancer qu’il est avec Ekambi Brillant, Dina Bell, Toto Guillaume, et dans une moindre mesure Guy Lobé, l’un des principaux producteurs  camerounais de ce genre musical. Lui, le compositeur au vocal larmoyant, aux trémolos sans fin, privilégiant comme nous l’avons dit plus un peu plus haut, les thèmes tournant autour du vécu amoureux de ces concitoyens, ne pouvait qu’y trouver un formidable terrain d’expression. Il ne pouvait que s’illustrer dans la pratique de ce slow camerounais dont le point de départ culminant reste pour notre modernité, Onguele mi minya, cet énorme chef-d’œuvre de Vicky Edimo !
Cette voie choisie par Ben Decca, est pour lui l’occasion de produire une œuvre aussi remarquable qu’Eva, vers le milieu des  années 80. C’est un slow collant avec la mythologie chrétienne de la création de l’homme et de la femme. Cette pièce musicale langoureuse, s’est gravée dans la mémoire de maintes générations de camerounais, au point d’en avoir été longtemps plébiscitée pour lancer l’ouverture de bals dansants et autres soirées de mariages.
A la suite du succès d’Eva, suivra plusieurs slow qui assoiront sa renommée d’African lover précurseur du makossa love. Ce makossa love, qui allait être en ces années 80, la nouveauté musicale s’insinuant dans les courants traditionnels du makossa. Citons pour illustration, quelques uns  de ceux-ci, tout en n’oubliant pas de mentionner que la liste fournie ici, n’en est point exhaustive : Na tondi wa, Se oa nu, We mba diye, Dube lam, ndol’a su, O si dimbea, etc., au total, plus d’une vingtaine de titres, commis sous le couvert de cette même veine musicale fortement lyrique et principalement dédiée à la gente féminine.
Eva : (Dieu m’a créé pour toi, mon amour / Toi aussi, tu as été créée pour moi, mon amour / Quel que soit ce qui arriverait, et malgré les nombreuses tentations que je rencontrerais sur mon chemin, je ne t’oublierai jamais/ Parce que toi et moi, nous sommes une seule et même personne etc. !,

La création d’un genre

mercredi 22 juin 2011

BEN DECCA (suite et fin) : Ben Decca et la polémique


(Il aura été de tous les combats, de toutes les réussites du makossa. Sa longévité atteste, si besoin était, de la permanence du makossa dans le paysage musical camerounais.)

Ben est certainement l’un des artistes camerounais qui s’est interrogé de manière inconsciente sur le bien-fondé de la route qu’il était en train d’emprunter. Il en a fait un tel un sujet de cogitation qu’il n’a pas résisté à l’envie de porter ce débat, qui aurait dû rester intérieur, sur la place publique. Le titre Ebogwa loko,  n’est donc que la personnification de ce débat intérieur.
Signalons aussi que si beaucoup d’artistes camerounais et africains, avant lui et après lui, se sont interrogés en privé, sur l’opportunité de faire de la musique un métier[1]. Ben Decca, est l’un des rares à avoir franchi le pas dans un texte chanté. Il a fait de cette interrogation assez légitime pour tout artiste, vu le contexte social assez défavorable à leur érection, un sujet de discussion qui lui aura en définitive, porté préjudice, du moins, jusqu’à un certain moment de sa longue carrière[2].

 Se réveiller un jour, en s’assumant  artiste compositeur contre vents et marées !

Mais voilà ! Le tout n’est pas de porter simplement, gaillardement l’interrogation sur la place publique ! De se demander de quoi seront fait ses lendemains ! De surfer indéfiniment entre deux barreaux de chaise ! La gageure est de pouvoir prendre une décision tranchée et claire par rapport aux choix à implémenter  à ces lendemains !
Et maintenant que Ben avait osé crevé l’abcès en se posant les questions qu’ils fallaient sur son avenir, plus rien ne l’empêchait en quelque sorte de sauter le pas et d’affirmer sa différence au sein de cette histoire familiale si présente, sans toutefois être intransigeante. Les moments de vague à l’âme et d’incertitude passés, Ben Decca allait tout simplement décider de rester dans la musique. Que disons-nous, d’habiter cette musique, d’être l’un des hérauts les plus charismatiques de ce makossa qui était devenu au fil de sa pratique,  une raison de vivre pour lui ! S’il était venu dans la région parisienne, au début des années 80, quelque peu dans ce milieu avec légèreté et facilité, il allait maintenant trouver des raisons pour n’en plus sortir, parce qu’il venait de s’y découvrir un destin, un accomplissement, une plénitude.  En quelque sorte, il entamait une nouvelle vie qui reléguait au second plan, l’historique professionnel familial !
Et cet artiste est grand, non seulement par la qualité de son œuvre mais aussi par cette voie autre qu’il s’est frayé de lui-même dans la vie : il s’est donné la stature d’un  adulte, d’un homme implacable, indéboulonnable sur ses convictions, au sein de cette société africaine si conservatrice et jalouse de ces acquis primitifs !
Et lorsque Ben Decca sort le titre Réconciliation  quelques temps après Ebogwa loko, avant même de se rabibocher avec son public, il avait déjà fait la paix avec lui-même ; avec sa personne en proie à des contradictions existentielles qui ont failli faire de lui pendant longtemps, un être indécis !
Réconciliation : Ben Decca, viens-nous donner du plaisir, viens-nous donner du plaisir/ entre les mains de qui tu nous livres !?/ Ben Decca, viens-nous donner du plaisir/ Si c’est moi qui vous ai causé du tord/ je vous prie de me pardonner/ voici vos makossa, venez les danser/ Réconciliation, réconciliation, réconciliation…/

Le Deïdo-boy aux 19 albums !

Il est des artistes tels Ben Decca dont le parcours inspire le respect avant qu’on en vienne seulement à analyser la qualité de l’œuvre produite ! Parce qu’ils ont été de tous les combats, de toutes les réussites, de tous les échecs ! Dans l’histoire tumultueuse du makossa, ils sont comme des livres ouverts où sont  nomenclaturés, les évènements et les faits les plus importants de leur discipline musicale. Ils sont comme des témoins qui portent sur leur épiderme, les stigmates de tous les faits d’arme vécus de manière volontaire ou involontaire ! Plus de 30 ans après, ils sont des hérauts sur lesquels les générations futures qui subodorent la densité de leur cheminement dans le temps, s’appuient pour maintenir vivace l’histoire du makossa national. Ce rythme musical qui a épuisé plus d’un, pour des raisons que nous n’évoquerons pas encore ici.
Et si l’on n’en venait qu’à considérer la qualité de  production de ce deido-boy au 19 albums, on serait tout autant stupéfait par la capacité de l’homme à s’inscrire avec succès dans toutes les figures de style du makossa ! Il aura eu autant de réussite avec le makossa love qu’avec le slow proprement dit. Il aura autant fait danser les couples que rêver les minettes d’amour, avec ses slows langoureux, pour ne pas intégrer dans le nombre, les hommes aussi ! Et ne parlons surtout pas de lui au passé, lui qui continue à produire des albums et à faire danser autour de lui !
Digérées les années de doute, Ben Decca c’est une place au firmament de la mémoire collective musicale camerounaise. C’est la preuve d’une santé de la musique camerounaise qui se charge de traverser le temps, bon an, mal an,  malgré les multiples et désinvoltes développements du milieu musical camerounais et africain.  C’est donc dans le caractère permanent de sa musique et le dévouement indéfectible à ses fans que Ben Decca s’inscrit dans le futur, avec pour but, d’enchanter toujours nos cœurs en mal de sons et mots se calquant sur nos attentes. Et il n’y a pas meilleur titre que Mbito ba kamerun  pour illustrer l’engagement total du deïdo-boy à sa mission d’enchanteur des cœurs et à son public féminin. Ce dernier en retour, a apporté et apportera toujours une énorme contribution au succès et à la visibilité de l’artiste.
Mbito ba kamerun : Femmes, C’est pour vous que je chantes jour après jour/ C’est pour vous que je prie le seigneur jour après jour/ ô femmes, je suis comblé, car c’est pour vous que je chante, c’est pour vous que je prie, mais, où êtes-vous femmes ?/ Que quiconque d’entre-vous a une aimée lui confie de suite sa flamme ! Que quiconque d’entre-vous traîne une douleur d’aimer lui (à elle) confie de suite son amour/

©Essombe Mouangue 2011

Consulter : musiquescamerounaises.blogspot.com
essombemouangue.blogspot.com
marevuedepressec.blogspot.com
Pour tout travaux de presse book, de portrait d’artiste, de représentation d’artiste, etc., Contactez Essombe Mouangue à ce numéro de tel : 33 02 21 82- Douala Cameroun







[1] Le regretté Eboa Lotin dans l’un de ses titres, adressé à Mme Germaine Ahidjo, se plaignait plutôt, de la misère financière de l’artiste qu’il était, sans toutefois remettre en cause le choix qu’il avait fait d’être un troubadour !
[2] Il est difficile d’avoir une opinion tranchée sur le sujet, toujours est-il que de manière concrète, la réaction du public n’a pas été des plus favorables au contenu du titre « Ebogwa loko » On peut même dire qu’il a été plutôt vexé par ce titre. C’est ainsi que l’on a noté sur le terrain, pendant un bon moment,  une forme de désaffection du public par rapport aux créations musicales de Ben Decca. Une forme de « séparation de corps » infligée à Ben Decca par le public, qui n’a pas du tout apprécié sa démarche, ne l’ayant certainement pas comprise du tout !


vendredi 17 juin 2011

BEN DECCA (suite) : Ben Decca et la polémique




(Il fut un temps où Ben Decca faillit dire pour de bon, adieu à son cher public ! Il fut un temps où son public, de dépit, faillit lui tourner le dos à jamais !)


Le monde du show-biz est un espace pernicieux qui ouvre à toutes les réussites tout comme aussi à tous les bides. Dans le cas où pour l’artiste, le succès plutôt que l’échec serait au rendez-vous, celui-ci, en raison de toutes les sollicitations dont il peut-être l’objet, tant de la part des médias, de son public, que de son environnement immédiat, il peut lui arriver de disjoncter. Il peut tout simplement lui prendre d’avoir la grosse tête, pour employer un terme consacré dans le milieu ! Grosse tête qui peut se concrétiser par des comportements allant de l’agressivité la plus odieuse, la prétention la plus déplacée, à l’extravagance la plus criarde !
Mais pour autant, doit-on parler, en ce qui concerne le cas Ben Decca, de prise de grosse tête, lorsqu’au milieu des années 80 dans le titre Ebogwa Loko, il décide de mettre fin à sa carrière musicale, alors que le bonhomme est au faîte de sa communion avec le public ?
Ebogwa Loko : Il n’est plus loin pour moi le temps de dire adieu au monde de la musique/ cette fonction d’enchanteur des cœurs est trop lourde, trop  difficile à porter, il est temps pour moi de sortir du monde de la musique/ Ne m’appelez plus, ne m’appelez plus…

L’indignation de Ben Decca face au statut ingrat de l’artiste camerounais !


S’agissait-il d’une manifestation de lassitude, due à l’énorme stress induit par cette activité musicale assez harassante, il est vrai, malgré les honneurs qu’elle est sensée procurer ? Ou bien s’agissait-il pour lui de susciter, de provoquer en annonçant son départ de la scène musicale, un sursaut d’intérêt de la part des mélomanes !? Ce qui correspondrait à un coup médiatique dont usent souvent les grosses pointures du show-biz international… !?
Ou encore devrions-nous évoquer à sa suite, comme il l’avoue lui-même dans une interview, sa dénonciation précoce du statut ingrat de l’artiste camerounais, en proie à des pouvoirs publics si peu soucieux de leur devenir. Au point de laisser proliférer cette piraterie naissante en ces années 80. Cette piraterie d’œuvres, en principe protégées par les conventions du copyright, dont les multiples ramifications étranglent jusqu’en ces années 2011, de manière presque irrémédiable, les perpectives financières du milieu de la musique camerounaise, toutes tendances confondues ! Et nous ne sommes pas prêts de  voir le bout du tunnel de cette affaire, de cette forfaiture qui est en train de « tuer » littéralement, nombre de talents de la musique camerounaise, restés au pays, tandis que les autres vivotent douloureusement dans les villes occidentales !

La difficulté à se départir du fardeau « héréditaire » familial


A évoquer aussi comme raison à ce cinglant Ebogwa loko, la difficulté qu’avait Ben Decca à concilier ce métier de l’automobile, qui est le sien, que nous qualifierons presque d’héritage « héréditaire » familial, avec le monde de l’art musical. Vu qu’une bonne partie des membres de sa famille se sont plus dirigés de fait, vers des carrières ayant tout à voir avec ces tâches faisant la part belle aux techniques de l’automobile, qu’à des professions artistiques ou littéraires. Un cercle familial donc en principe, plus tourné vers le concret des choses de la vie, que l’évanescence et l’incertitude du monde artistique ; jusqu’à ce que Ben Decca n’en vienne inverser la tendance, en entraînant dans son sillage ses deux sœurs, et le benjamin qui suivra lui aussi le rythme, beaucoup plus tard.
Mais avant d’en arriver à la mise en branle de ce raz-de-marée que nous qualifierons d’artistique, Ben Decca est d’abord seul face à son audace. Il est d’abord seul face à ce destin qu’il doit se choisir autre ou quasi pareil à celui de son père. Il est celui qui doit avoir le courage ou la folie d’être quelqu’un d’autre, que ce que son groupement social, a l’habitude de voir autour de lui ; il est celui qui doit se penser autre que ce que ces pairs sont en droit d’attendre de lui. 

Seul face au regard impitoyable de la société !

Face au regard de la société, La responsabilité de l’homme est donc lourde, même si ses premiers succès musicaux ont contribué à lui insuffler de l’assurance ; même s’il n’encourre plus de risque d’interdit venant d’un père rigoureux, sans être du tout malveillant, assez surpris au départ de l’orientation prise par son fils. Le seul obstacle à la prise en compte de cette carrière musicale qui s’annonce si prometteuse, étonnamment, devient donc lui-même ! Pourquoi !? Parce que de manière plus inconsciente que consciente, Ben Decca n’a certainement pas encore fait le deuil de ce destin familial qui lui était promis. Parce que de lui-même, il ne s’était pas encore résolu à n’être que ce chanteur de makossa, qui s’est engouffré dans cette carrière comme un jeu, sans trop forcer sur son talent, étant admirablement entouré par des aînés qui vont lui faciliter énormément les choses[1].
Peut-être qu’il lui arrive même encore de douter de l’importance de cette carrière musicale ! Et il y a de quoi ! Au sein de  la société camerounaise assez conservatrice, par tradition, on continue  à considérer les artistes et pas que les musiciens,  comme des ratés, des voyous, des farceurs, des troubadours sans grand intérêt, vite oubliés leurs messages livrés ! Et comme les émoluments à attendre légitimement de ce métier ne suivent généralement pas comme il le faut, (ce qui vient pour confirmer l’inutilité d’un tel choix), il faut être doté d’une sacrée dose de courage pour oser en faire un métier à la face du monde ! Et quand on se sait  pouvoir être capable de faire autre chose qu’à « jouer à l’artiste », le choix est vite fait pour d’autres.

BEN DECCA (À SUIVRE) 


[1] Citons son premier producteur et arrangeur Joe Mboulè, et les membres les plus influents de l’équipe nationale du makossa.