vendredi 24 juin 2011

BEN DECCA (suite) : Ben Decca et la polémique




(Il fut un temps où Ben Decca faillit dire pour de bon, adieu à son cher public ! Il fut un temps où son public, de dépit, faillit lui tourner le dos à jamais !)


Le monde du show-biz est un espace pernicieux qui ouvre à toutes les réussites tout comme aussi à tous les bides. Dans le cas où pour l’artiste, le succès plutôt que l’échec serait au rendez-vous, celui-ci, en raison de toutes les sollicitations dont il peut-être l’objet, tant de la part des médias, de son public, que de son environnement immédiat, il peut lui arriver de disjoncter. Il peut tout simplement lui prendre d’avoir la grosse tête, pour employer un terme consacré dans le milieu ! Grosse tête qui peut se concrétiser par des comportements allant de l’agressivité la plus odieuse, la prétention la plus déplacée, à l’extravagance la plus criarde !
Mais pour autant, doit-on parler, en ce qui concerne le cas Ben Decca, de prise de grosse tête, lorsqu’au milieu des années 80 dans le titre Ebogwa Loko, il décide de mettre fin à sa carrière musicale, alors que le bonhomme est au faîte de sa communion avec le public ?
Ebogwa Loko : Il n’est plus loin pour moi le temps de dire adieu au monde de la musique/ cette fonction d’enchanteur des cœurs est trop lourde, trop  difficile à porter, il est temps pour moi de sortir du monde de la musique/ Ne m’appelez plus, ne m’appelez plus…

L’indignation de Ben Decca face au statut ingrat de l’artiste camerounais !


S’agissait-il d’une manifestation de lassitude, due à l’énorme stress induit par cette activité musicale assez harassante, il est vrai, malgré les honneurs qu’elle est sensée procurer ? Ou bien s’agissait-il pour lui de susciter, de provoquer en annonçant son départ de la scène musicale, un sursaut d’intérêt de la part des mélomanes !? Ce qui correspondrait à un coup médiatique dont usent souvent les grosses pointures du show-biz international… !?
Ou encore devrions-nous évoquer à sa suite, comme il l’avoue lui-même dans une interview, sa dénonciation précoce du statut ingrat de l’artiste camerounais, en proie à des pouvoirs publics si peu soucieux de leur devenir. Au point de laisser proliférer cette piraterie naissante en ces années 80. Cette piraterie d’œuvres, en principe protégées par les conventions du copyright, dont les multiples ramifications étranglent jusqu’en ces années 2011, de manière presque irrémédiable, les perpectives financières du milieu de la musique camerounaise, toutes tendances confondues ! Et nous ne sommes pas prêts de  voir le bout du tunnel de cette affaire, de cette forfaiture qui est en train de « tuer » littéralement, nombre de talents de la musique camerounaise, restés au pays, tandis que les autres vivotent douloureusement dans les villes occidentales !

La difficulté à se départir du fardeau « héréditaire » familial


A évoquer aussi comme raison à ce cinglant Ebogwa loko, la difficulté qu’avait Ben Decca à concilier ce métier de l’automobile, qui est le sien, que nous qualifierons presque d’héritage « héréditaire » familial, avec le monde de l’art musical. Vu qu’une bonne partie des membres de sa famille se sont plus dirigés de fait, vers des carrières ayant tout à voir avec ces tâches faisant la part belle aux techniques de l’automobile, qu’à des professions artistiques ou littéraires. Un cercle familial donc en principe, plus tourné vers le concret des choses de la vie, que l’évanescence et l’incertitude du monde artistique ; jusqu’à ce que Ben Decca n’en vienne inverser la tendance, en entraînant dans son sillage ses deux sœurs, et le benjamin qui suivra lui aussi le rythme, beaucoup plus tard.
Mais avant d’en arriver à la mise en branle de ce raz-de-marée que nous qualifierons d’artistique, Ben Decca est d’abord seul face à son audace. Il est d’abord seul face à ce destin qu’il doit se choisir autre ou quasi pareil à celui de son père. Il est celui qui doit avoir le courage ou la folie d’être quelqu’un d’autre, que ce que son groupement social, a l’habitude de voir autour de lui ; il est celui qui doit se penser autre que ce que ces pairs sont en droit d’attendre de lui. 
Seul face au regard impitoyable de la société !

Face au regard de la société, La responsabilité de l’homme est donc lourde, même si ses premiers succès musicaux ont contribué à lui insuffler de l’assurance ; même s’il n’encourre plus de risque d’interdit venant d’un père rigoureux, sans être du tout malveillant, assez surpris au départ de l’orientation prise par son fils. Le seul obstacle à la prise en compte de cette carrière musicale qui s’annonce si prometteuse, étonnamment, devient donc lui-même ! Pourquoi !? Parce que de manière plus inconsciente que consciente, Ben Decca n’a certainement pas encore fait le deuil de ce destin familial qui lui était promis. Parce que de lui-même, il ne s’était pas encore résolu à n’être que ce chanteur de makossa, qui s’est engouffré dans cette carrière comme un jeu, sans trop forcer sur son talent, étant admirablement entouré par des aînés qui vont lui faciliter énormément les choses[1].
Peut-être qu’il lui arrive même encore de douter de l’importance de cette carrière musicale ! Et il y a de quoi ! Au sein de  la société camerounaise assez conservatrice, par tradition, on continue  à considérer les artistes et pas que les musiciens,  comme des ratés, des voyous, des farceurs, des troubadours sans grand intérêt, vite oubliés leurs messages livrés ! Et comme les émoluments à attendre légitimement de ce métier ne suivent généralement pas comme il le faut, (ce qui vient pour confirmer l’inutilité d’un tel choix), il faut être doté d’une sacrée dose de courage pour oser en faire un métier à la face du monde ! Et quand on se sait  pouvoir être capable de faire autre chose qu’à « jouer à l’artiste », le choix est vite fait pour d’autres.

BEN DECCA (À SUIVRE) 

©Essombe Mouangue 2011

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BEN DECCA (suite et fin) : le choix final de Ben Decca


(Il aura été de tous les combats, de toutes les réussites du makossa. Sa longévité atteste, si besoin était, de la permanence du makossa dans le paysage musical camerounais.)

Ben est certainement l’un des artistes camerounais qui s’est interrogé de manière inconsciente sur le bien-fondé de la route qu’il était en train d’emprunter. Il en a fait un tel un sujet de cogitation qu’il n’a pas résisté à l’envie de porter ce débat, qui aurait dû rester intérieur, sur la place publique. Le titre Ebogwa loko,  n’est donc que la personnification de ce débat intérieur.
Signalons aussi que si beaucoup d’artistes camerounais et africains, avant lui et après lui, se sont interrogés en privé, sur l’opportunité de faire de la musique un métier[2]. Ben Decca, est l’un des rares à avoir franchi le pas dans un texte chanté. Il a fait de cette interrogation assez légitime pour tout artiste, vu le contexte social assez défavorable à leur érection, un sujet de discussion qui lui aura en définitive, porté préjudice, du moins, jusqu’à un certain moment de sa longue carrière[3].

 Se réveiller un jour, en s’assumant  artiste compositeur contre vents et marées !

Mais voilà ! Le tout n’est pas de porter simplement, gaillardement l’interrogation sur la place publique ! De se demander de quoi seront fait ses lendemains ! De surfer indéfiniment entre deux barreaux de chaise ! La gageure est de pouvoir prendre une décision tranchée et claire par rapport aux choix à implémenter  à ces lendemains !
Et maintenant que Ben avait osé crevé l’abcès en se posant les questions qu’ils fallaient sur son avenir, plus rien ne l’empêchait en quelque sorte de sauter le pas et d’affirmer sa différence au sein de cette histoire familiale si présente, sans toutefois être intransigeante. Les moments de vague à l’âme et d’incertitude passés, Ben Decca allait tout simplement décider de rester dans la musique. Que disons-nous, d’habiter cette musique, d’être l’un des hérauts les plus charismatiques de ce makossa qui était devenu au fil de sa pratique,  une raison de vivre pour lui ! S’il était venu dans la région parisienne, au début des années 80, quelque peu dans ce milieu avec légèreté et facilité, il allait maintenant trouver des raisons pour n’en plus sortir, parce qu’il venait de s’y découvrir un destin, un accomplissement, une plénitude.  En quelque sorte, il entamait une nouvelle vie qui reléguait au second plan, l’historique professionnel familial !
Et cet artiste est grand, non seulement par la qualité de son œuvre mais aussi par cette voie autre qu’il s’est frayé de lui-même dans la vie : il s’est donné la stature d’un  adulte, d’un homme implacable, indéboulonnable sur ses convictions, au sein de cette société africaine si conservatrice et jalouse de ces acquis primitifs !
Et lorsque Ben Decca sort le titre Réconciliation  quelques temps après Ebogwa loko, avant même de se rabibocher avec son public, il avait déjà fait la paix avec lui-même ; avec sa personne en proie à des contradictions existentielles qui ont failli faire de lui pendant longtemps, un être indécis !
Réconciliation : Ben Decca, viens-nous donner du plaisir, viens-nous donner du plaisir/ entre les mains de qui tu nous livres !?/ Ben Decca, viens-nous donner du plaisir/ Si c’est moi qui vous ai causé du tord/ je vous prie de me pardonner/ voici vos makossa, venez les danser/ Réconciliation, réconciliation, réconciliation…/

Le Deïdo-boy aux 19 albums !

Il est des artistes tels Ben Decca dont le parcours inspire le respect avant qu’on en vienne seulement à analyser la qualité de l’œuvre produite ! Parce qu’ils ont été de tous les combats, de toutes les réussites, de tous les échecs ! Dans l’histoire tumultueuse du makossa, ils sont comme des livres ouverts où sont  nomenclaturés, les évènements et les faits les plus importants de leur discipline musicale. Ils sont comme des témoins qui portent sur leur épiderme, les stigmates de tous les faits d’arme vécus de manière volontaire ou involontaire ! Plus de 30 ans après, ils sont des hérauts sur lesquels les générations futures qui subodorent la densité de leur cheminement dans le temps, s’appuient pour maintenir vivace l’histoire du makossa national. Ce rythme musical qui a épuisé plus d’un, pour des raisons que nous n’évoquerons pas encore ici.
Et si l’on n’en venait qu’à considérer la qualité de  production de ce deido-boy au 19 albums, on serait tout autant stupéfait par la capacité de l’homme à s’inscrire avec succès dans toutes les figures de style du makossa ! Il aura eu autant de réussite avec le makossa love qu’avec le slow proprement dit. Il aura autant fait danser les couples que rêver les minettes d’amour, avec ses slows langoureux, pour ne pas intégrer dans le nombre, les hommes aussi ! Et ne parlons surtout pas de lui au passé, lui qui continue à produire des albums et à faire danser autour de lui !
Digérées les années de doute, Ben Decca c’est une place au firmament de la mémoire collective musicale camerounaise. C’est la preuve d’une santé de la musique camerounaise qui se charge de traverser le temps, bon an, mal an,  malgré les multiples et désinvoltes développements du milieu musical camerounais et africain.  C’est donc dans le caractère permanent de sa musique et le dévouement indéfectible à ses fans que Ben Decca s’inscrit dans le futur, avec pour but, d’enchanter toujours nos cœurs en mal de sons et mots se calquant sur nos attentes. Et il n’y a pas meilleur titre que Mbito ba kamerun  pour illustrer l’engagement total du deïdo-boy à sa mission d’enchanteur des cœurs et à son public féminin. Ce dernier en retour, a apporté et apportera toujours une énorme contribution au succès et à la visibilité de l’artiste.
Mbito ba kamerun : Femmes, C’est pour vous que je chantes jour après jour/ C’est pour vous que je prie le seigneur jour après jour/ ô femmes, je suis comblé, car c’est pour vous que je chante, c’est pour vous que je prie, mais, où êtes-vous femmes ?/ Que quiconque d’entre-vous a une aimée lui confie de suite sa flamme ! Que quiconque d’entre-vous traîne une douleur d’aimer lui (à elle) confie de suite son amour/

©Essombe Mouangue 2011

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[1] Citons son premier producteur et arrangeur Joe Mboulè, et les membres les plus influents de l’équipe nationale du makossa.
[2] Le regretté Eboa Lotin dans l’un de ses titres, adressé à Mme Germaine Ahidjo, se plaignait plutôt, de la misère financière de l’artiste qu’il était, sans toutefois remettre en cause le choix qu’il avait fait d’être un troubadour !
[3] Il est difficile d’avoir une opinion tranchée sur le sujet, toujours est-il que de manière concrète, la réaction du public n’a pas été des plus favorables au contenu du titre « Ebogwa loko » On peut même dire qu’il a été plutôt vexé par ce titre. C’est ainsi que l’on a noté sur le terrain, pendant un bon moment,  une forme de désaffection du public par rapport aux créations musicales de Ben Decca. Une forme de « séparation de corps » infligée à Ben Decca par le public, qui n’a pas du tout apprécié sa démarche, ne l’ayant certainement pas comprise du tout !

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