vendredi 17 juin 2011

BEN DECCA (suite) : Ben Decca et la polémique




(Il fut un temps où Ben Decca faillit dire pour de bon, adieu à son cher public ! Il fut un temps où son public, de dépit, faillit lui tourner le dos à jamais !)


Le monde du show-biz est un espace pernicieux qui ouvre à toutes les réussites tout comme aussi à tous les bides. Dans le cas où pour l’artiste, le succès plutôt que l’échec serait au rendez-vous, celui-ci, en raison de toutes les sollicitations dont il peut-être l’objet, tant de la part des médias, de son public, que de son environnement immédiat, il peut lui arriver de disjoncter. Il peut tout simplement lui prendre d’avoir la grosse tête, pour employer un terme consacré dans le milieu ! Grosse tête qui peut se concrétiser par des comportements allant de l’agressivité la plus odieuse, la prétention la plus déplacée, à l’extravagance la plus criarde !
Mais pour autant, doit-on parler, en ce qui concerne le cas Ben Decca, de prise de grosse tête, lorsqu’au milieu des années 80 dans le titre Ebogwa Loko, il décide de mettre fin à sa carrière musicale, alors que le bonhomme est au faîte de sa communion avec le public ?
Ebogwa Loko : Il n’est plus loin pour moi le temps de dire adieu au monde de la musique/ cette fonction d’enchanteur des cœurs est trop lourde, trop  difficile à porter, il est temps pour moi de sortir du monde de la musique/ Ne m’appelez plus, ne m’appelez plus…

L’indignation de Ben Decca face au statut ingrat de l’artiste camerounais !


S’agissait-il d’une manifestation de lassitude, due à l’énorme stress induit par cette activité musicale assez harassante, il est vrai, malgré les honneurs qu’elle est sensée procurer ? Ou bien s’agissait-il pour lui de susciter, de provoquer en annonçant son départ de la scène musicale, un sursaut d’intérêt de la part des mélomanes !? Ce qui correspondrait à un coup médiatique dont usent souvent les grosses pointures du show-biz international… !?
Ou encore devrions-nous évoquer à sa suite, comme il l’avoue lui-même dans une interview, sa dénonciation précoce du statut ingrat de l’artiste camerounais, en proie à des pouvoirs publics si peu soucieux de leur devenir. Au point de laisser proliférer cette piraterie naissante en ces années 80. Cette piraterie d’œuvres, en principe protégées par les conventions du copyright, dont les multiples ramifications étranglent jusqu’en ces années 2011, de manière presque irrémédiable, les perpectives financières du milieu de la musique camerounaise, toutes tendances confondues ! Et nous ne sommes pas prêts de  voir le bout du tunnel de cette affaire, de cette forfaiture qui est en train de « tuer » littéralement, nombre de talents de la musique camerounaise, restés au pays, tandis que les autres vivotent douloureusement dans les villes occidentales !

La difficulté à se départir du fardeau « héréditaire » familial


A évoquer aussi comme raison à ce cinglant Ebogwa loko, la difficulté qu’avait Ben Decca à concilier ce métier de l’automobile, qui est le sien, que nous qualifierons presque d’héritage « héréditaire » familial, avec le monde de l’art musical. Vu qu’une bonne partie des membres de sa famille se sont plus dirigés de fait, vers des carrières ayant tout à voir avec ces tâches faisant la part belle aux techniques de l’automobile, qu’à des professions artistiques ou littéraires. Un cercle familial donc en principe, plus tourné vers le concret des choses de la vie, que l’évanescence et l’incertitude du monde artistique ; jusqu’à ce que Ben Decca n’en vienne inverser la tendance, en entraînant dans son sillage ses deux sœurs, et le benjamin qui suivra lui aussi le rythme, beaucoup plus tard.
Mais avant d’en arriver à la mise en branle de ce raz-de-marée que nous qualifierons d’artistique, Ben Decca est d’abord seul face à son audace. Il est d’abord seul face à ce destin qu’il doit se choisir autre ou quasi pareil à celui de son père. Il est celui qui doit avoir le courage ou la folie d’être quelqu’un d’autre, que ce que son groupement social, a l’habitude de voir autour de lui ; il est celui qui doit se penser autre que ce que ces pairs sont en droit d’attendre de lui. 

Seul face au regard impitoyable de la société !

Face au regard de la société, La responsabilité de l’homme est donc lourde, même si ses premiers succès musicaux ont contribué à lui insuffler de l’assurance ; même s’il n’encourre plus de risque d’interdit venant d’un père rigoureux, sans être du tout malveillant, assez surpris au départ de l’orientation prise par son fils. Le seul obstacle à la prise en compte de cette carrière musicale qui s’annonce si prometteuse, étonnamment, devient donc lui-même ! Pourquoi !? Parce que de manière plus inconsciente que consciente, Ben Decca n’a certainement pas encore fait le deuil de ce destin familial qui lui était promis. Parce que de lui-même, il ne s’était pas encore résolu à n’être que ce chanteur de makossa, qui s’est engouffré dans cette carrière comme un jeu, sans trop forcer sur son talent, étant admirablement entouré par des aînés qui vont lui faciliter énormément les choses[1].
Peut-être qu’il lui arrive même encore de douter de l’importance de cette carrière musicale ! Et il y a de quoi ! Au sein de  la société camerounaise assez conservatrice, par tradition, on continue  à considérer les artistes et pas que les musiciens,  comme des ratés, des voyous, des farceurs, des troubadours sans grand intérêt, vite oubliés leurs messages livrés ! Et comme les émoluments à attendre légitimement de ce métier ne suivent généralement pas comme il le faut, (ce qui vient pour confirmer l’inutilité d’un tel choix), il faut être doté d’une sacrée dose de courage pour oser en faire un métier à la face du monde ! Et quand on se sait  pouvoir être capable de faire autre chose qu’à « jouer à l’artiste », le choix est vite fait pour d’autres.

BEN DECCA (À SUIVRE) 


[1] Citons son premier producteur et arrangeur Joe Mboulè, et les membres les plus influents de l’équipe nationale du makossa.

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