lundi 16 août 2010

Charles Lembè : le plaisir du texte bien rendu




(Charles Lembe, avec la production d'un seul album sorti des bacs dans les années 70, est devenu l'un des interprètes les plus incontournables de la musique camerounaise)

Il est assez rare et étonnant qu'à partir d'un seul album, un artiste puisse se construire une forte renommée, et cela, de façon relativement continue dans l'oreille des mélomanes avertis. Pourtant, comme des exceptions qui confirment la règle, Charles Lembè, à l'instar d'un Vicky Edimo a pu parvenir à cela. Il est arrivé à s'inscrire, de manière quasi permanente dans l'esprit des mélomanes camerounais, depuis la sortie dans les années 70 de cet album aux mélodies incontournables. Mieux encore, Il a réussi à partir de cet album à avoir une influence au sein de la tendance musicale qu'allait s'imposer une bonne partie des auteurs interprètes doués du pays. Ces compositeurs très exigeants dans leur démarche qui, au makossa pur et dur, d'un Moni Bilè, à l'Assiko syncopé d'un Jean Bikoko, au Bikutsi débridé des Têtes-brûlés, ou encore au Mangambeu effréné d'un Pierre Didi Tchakounté,
allaient préférer cultiver l'art assez difficile des chansons à texte. Leur quête étant manifestement de rendre accessible, les messages contenus dans leurs textes plutôt que d'atteindre à la satisfaction orchestrale, par le tripatouillage pas toujours heureux et inspirés d'éventuelles harmonies et dissonances musicales.
Mmabola mongo, Ton mauvais comportement est la cause de notre rupture/ Tu as pris pour occupation le vagabondage sexuel/ Quand je pense seulement à ta beauté passée, maintenant tu n'es plus qu'une branche desséchée / Plus personne ne te prend au sérieux/ Il n'y a plus d'amour entre toi et moi, tu n'existes plus pour moi … Le grillon s'est creusé sa propre tombe, le grillon s'est creusé sa propre tombe… )

Un vocal à part

  La technique vocale de Charles Lembè, est assez remarquable pour qu'on puisse l'évoquer. Charles Lembè, c'est une voix haute, fine, cinglante, avec quelques effets de bégaiements bien tempérés par une technique de chant admirablement maîtrisée. Une technique de chant propre à lui, qui rend reconnaissable sa voix entre toutes. Et cette voix généreuse, pour mieux exprimer la force de son message évolue dans un contexte musical sain, aéré, propice aux épanchements vocaux. En effet, à l'instar de certains interprètes du blues américain, ou même du slow français, une guitare classique et quelques mouvements de percussions, suffisent semblent-il, à notre homme pour atteindre la quintessence de son art. Une manière de rendre son art qui ne permet aucun artifice, aucune tricherie par rapport au public. On donne le maximum de ces qualités vocales ou rien ! Seuls le talent, la qualité et la pertinence du texte s'affirment.
On peut affirmer sans crainte de se tromper que Charles Lembè, Eboa lotin, et Francis Bebey sont les précurseurs de ce genre musical au Cameroun. Beaucoup de jeunes chansonniers de la musique camerounaise des années 90-2000, sont d'une certaine manière, les héritiers, de cette sorte de manifestation lyrique assez intimiste. On citera au hasard, Ottou Marcelin, Henri Dikongue, Donny Elwood, Richard Bona, Cyril Effala, etc.,
Nyuwé : Moi, cet orphelin qui n'a personne pour soutien, j'ai fini par être abandonné/
Mais toutes les mauvaises pensées n'ont servi à rien / Mon seigneur a exaucé ma prière/ par mon talent vocal et la dextérité de mes doigts, il m'a donné une richesse immense/ chaque homme a droit à une chance dans la vie / j'ai eu la mienne…

(A suivre)
©Essombe Mouangue 2010
Consulter les blogs : musiquescamerounaises.blogspot.com
Essombemouangue.blogspot.com
  
  La carte thématique des chansons de Charles Lembè

  
(Charles Lembè, met toujours un point d'honneur à soigner sa prononciation pour que son message parvienne à son destinataire, sans qu'il y ait possibilité de distorsion et donc d'interprétation abusive)

Comme beaucoup de chanteurs à texte, Charles Lembè a choisi de se tailler des textes sur mesure. Des textes qui expriment avant tout des préoccupations portant sur son environnement immédiat. L'accent particulier étant mis en exergue par le traitement spécifique apporté à ses sujets. Son sens de l'humour, sa gouaille naturelle l'amène à contourner et à détourner les sujets les plus sérieux de leurs charges émotives trop guindées. En effet qu'il soit surpris en train de discourir de relation amoureuse heureuse, de la duplicité féminine, de la beauté féminine, du sentiment de solitude éprouvé par l'homme abandonné par les siens ; même lorsqu'il s'interroge sur la justification de l'existence de l'homme sur terre, et sur toutes les injustices qu'engendre son comportement social ; qu'il soit en train de prodiguer des conseils à un jeune homme, Charles Lembè met toujours un point d'honneur, de sa langue acerbe, plus que verte
par moments, à donner à entendre les éléments les plus truculents, les plus déconcertants, et même les plus contradictoires, sur le thème abordé. Il est difficile au mélomane d'échapper à ses textes qui à tout moment, le surprenne, l'interpelle, le sorte de lui-même.

Elolombe : Tu es cette étoile qui me procure rayonnement/ Tu es ce miel si succulent dont je raffole/ Tu es cette chose qui trompe les hommes /Et j'ai entendu dire que tu es si peu de chose/ j'ai entendu dire que tu n'as aucun sens de la propreté…

   
La justesse de la langue de Charles Lembè

La dimension d'un parolier est aussi donnée par le soin particulier qu'il met à se servir de la langue, quelle qu'elle soit, qui lui sert de véhicule pour ses messages. Dans le cas de Charles Lembè, on note tout de suite, avant même d'entrer dans le volet de la langue proprement dite, de la qualité même de sa diction. Qu'il soit en train de chanter en ewondo, comme pour le titre Maa ding wa, ou en duala dont il use le plus, il serait difficile de dire que des mots nous auraient échappé, parce qu'ils auraient été mal prononcés ou parce que Charles Lembè aurait fait preuve d'un phrasé mélodique inaudible. Charles Lembè met toujours un point d'honneur à soigner sa prononciation pour que son message parvienne à son destinataire, sans qu'il y ait possibilité de distorsion et donc d'interprétation abusive. Parce qu'il intègre cette exigence dans sa démarche, il rejoint en droite ligne les grands interprètes du jazz américain dont on a eu aussi à noter la qualité de la diction.
Maa ding wa : je t'aime, mais pourquoi tu fais tant de manières!?/ Tu sais que je t'aime, mais pourquoi tu me déranges tant!?/Je t'aime, mais pourquoi tu me fais tant mariner!?/
  
L'utilisation du duala classique

Nous avons dit que la dimension d'un parolier est donnée par le soin particulier qu'il met à se servir de la langue véhicule de son message. Dans le cas de Charles Lembè, cet élément est intégré au plus haut point. Charles Lembè dont la majorité de ses compositions sont écrites en duala, se sert de cette langue bantou de la côte camerounaise, avec une maestria que l'on ne retrouve présente que chez des chanteurs tels que Francis Bebey, Douleur, pour la qualité des proverbes insérés dans ces compositions et Eboa Lotin, pour la gouaille et les pics assénés à ses souffre-douleur habituels que sont les femmes et les comportements asociaux de ses contemporains.
C'est donc une utilisation de la langue duala châtiée qui, tour à tour convoque des proverbes tels que "Eselè é pulisè momenè songo » (littéralement, le grillon s'est creusé sa propre tombe)" mais qui abonde aussi dans un emploi du duala des plus simples, accessibles à tout le monde, comme dans A mounam.
A mounam: Mon fils, apprends à t'écouter, à utiliser ton intelligence, n'écoutes personne, parce que tu es maintenant un homme/ Ne t'en remet jamais aux mauvais conseils/ sache que le véritable ami, ne se révèle que lorsque l'on est dans la souffrance/ Ne surestime jamais tes capacités/ Il en est de même pour cette fille que tu aimes, n'écoute personne, n'écoute que ton cœur/ Parce que maintenant tu es véritablement un homme…
(A suivre)
©Essombe Mouangue 2010
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Essombemouangue.blogspot.com

  L'auteur interprété par ses pairs



(Si la preuve devait être faite qu'il ne suffit pas de produire des dizaines d'albums pour obtenir du public une reconnaissance quasi-éternelle de son œuvre, Charles Lembè, en ne commettant pratiquement qu'un seul album à succès, sur un total de deux ou trois, l'a prouvé.)



La dimension d'un chanteur est aussi donnée par l'empressement que mettent ses contemporains à interpréter son œuvre de son vivant. En ce qui concerne ce chapitre, Charles Lembè est largement plébiscité par ses pairs artistes. Que ce soit par ceux sévissant dans les cabarets, les pianos-bars du pays, ou encore, s'agissant de ces artistes qui ont acquis une certaine notoriété internationale après la sortie de quelques albums. On peut même affirmer qu'il y a très peu de chanteurs de cabarets qui à un moment ou à un autre de leur évolution n'aient sacrifié au passage obligé qu'est l'interprétation des rengaines si fortement expressives de Charles Lembè. Et suivant l'exemple de ces attaquants des pianos-bars, des artistes reconnus de la scène musicale camerounaise de l'heure, comme pour une révérence appuyée au maître, pas vraiment prolifique de ses prestations, ont tenu à intégrer ces chansons dans leur répertoire. Le duo Tom Yom's et Bebey Manga, déjà célèbre pour ces reprises, dans de nouvelles versions réactualisant le talent du créateur de Mot'a Benama, a longtemps trôné aux sommets des hits parades de la place camerounaise, dans les années 98-99. Henry Njoh a fait de même avec le titre Londo Longo. D'autres versions de ces titres peuvent paraître à tout moment.
    Toutefois, Reconnaissons-le, toutes ces versions d'un album à succès, ne sont que des crimes salvateurs de lèse-majesté. Ils ne sont commis qu'à cause de la trop longue absence de Charles Lembè sur le marché discographique camerounais. Malgré la sortie bien plus tard, d'un autre album véritablement méconnu du public. Un album qui n'a pas pu avoir le même impact magique que le tout premier, qui trône déjà en tant que pièce maîtresse, au sein du patrimoine musical camerounais.
Mais, supposons aussi un instant que seuls les aléas de la production musicale, ont dû priver ses nombreux inconditionnels du plaisir de réécouter Charles Lembè, dans d'autres plages musicales.
Londo Longo : Loin de moi avec ta malchance, ta compagnie me dépasse/ et ne m'amène point tes grandes réflexions, je suis si peu de choses, alors s'il te plaît, laisse-moi en paix/ Et comme tu es si jolie, et que les étalons foisonnent dans la ville, que vas-tu pouvoir faire ? Que ta route te soit fructueuse/ Et avec ta soif de biens matériels, d'or et d'argent, tu corromps les hommes, que ta route te soit fructueuse…

Si la preuve devait être faite qu'il ne suffit pas de produire des dizaines d'albums pour obtenir du public la reconnaissance de son œuvre, Charles Lembè, en ne commettant pratiquement qu'un seul album à succès, sur un total de deux ou trois, l'a prouvé. Plutôt que de verser dans la profusion, qui n'est pas toujours suivi de résultat probant, il semble avoir fait dans la sobriété pour un résultat d'emblée qui le place parmi les ténors de la chanson camerounaise. Car, il a su donner au paysage musical camerounais, des œuvres immortelles qui sont devenues des classiques, indispensables pour comprendre et expliquer l'histoire du cheminement d'une certaine forme de musique camerounaise : celle des paroliers, des chanteurs à texte. Tous ces artistes qui par la qualité, la force de leurs textes interpellent violemment la société et comptent, par cette manière peser sur son devenir. Et quoi de mieux, pour illustrer ce propos, que de vous donner à méditer sur les paroles de l'un de ces textes les plus forts, celui qui explique peut-être le mieux sa démarche et celle des nombreux jeunes qui allaient s'engouffrer dans ce domaine brûlant des chansons à texte.
Mot'a benama
: Que sommes-nous venus faire sur terre ? Pourquoi la paix est-elle absente de nos vies ? Pourquoi ne vivons-nous que de dénonciations et de trahisons ?/ Il y a pourtant de la place sur terre pour tous/ Il ne faut pourtant pas grand chose pour que chacun d'entre-nous puisse avoir de quoi manger/ Mais ces « lions » et ces « éléphants » ne nous permettent pas de respirer/ L'esprit de parenté est révolu, la véritable amitié de même n'existe plus/ Le meurtre et la guerre sont devenus le pain quotidien de l'être humain/ Il est en train de devenir une bête sauvage…

Charles Lembè en chansons

1. Mabola Mongo (Tes mauvais agissements), 2. Nyuwé
(L'orphelin), 3. Elolombé
(Tu n'es pas l'aurore), 4. Itouédi (Le pauvre), 5. Mota Benama (L'homme, un loup pour l'homme), 6. O Si Wengisane (Ne change pas) 7. Londo Longo (Amuse-toi bien), 8. Maading Wa (Je t'aime et ne t'amuse pas avec moi), 9. A Mounam (A mon fils).

©Essombe Mouangue 2010
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1 commentaire:

  1. Merci a l'auteur de cette recherche de qualité,Charles ou que tu sois-tu fais fais partie de mes préférés. Chapeau l'artiste !

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